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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

il n’aurait certes point pu manifester son affranchissement du joug des richesses mondaines. Voilà un exemple magnifique de l’énergie chrétienne primitive, dans ce temps où, comme Jérôme écrit à la femme Demétriade : « Le sang de Notre-Seigneur fumait encore et dans les fidèles la foi était dans toute sa verve » (calebat cruor) ; voyez aussi G. Arnold : sur l’abnégation de tout égoïsme chez les premiers chrétiens (IV, 12).

Ah, les voilà, nos chers chrétiens modernes, qui se débattent contre les impitoyables conséquences que je déroule devant leurs yeux affaiblis. Ces messieurs disent que cette liberté, ou l’émancipation de l’homme du joug de la nature et de la matière, doit être entendue spirituellement comme si le Seigneur, qui, tout doux qu’il soit, ne plaisante pas, eût pu leur ordonner un non-sens, un affranchissement qui est nul au fond, un affranchissement illusoire et qui n’exige aucun sacrifice. Ou est-ce par hasard que précisément à cause de cela le Christ aurait dit : « Mon joug est léger ? » Vraiment, les théologiens modernes en savent davantage, à ce qu’il paraît, que les glorieux martyrs baignés de sang et de larmes. Nos modernes ne doutent pas de la vie céleste, c’est le seul point sur lequel ils sont d’accord avec les moines et ermites de l’antiquité chrétienne ; mais ils l’attendent en patience, et avant leur mort corporelle ils s’abandonnent tranquillement à ce qu’ils appellent la volonté divine, c’est-à-dire à leur egoïsme et à leurs plaisirs ; tandis que Jérôme écrit à Julien : « Difficile, imo impossibile est, ut et praesentibus quis et futuris fruatur bonis, » et à Héliodore : « Delicatus es, frater, si et hic vis gaudere cum saeculo et postea regnare cum Christo. »

Et le grand Tauler, moine prêcheur allemand : « Vous voulez donc posséder à la fois Dieu le créateur et la créature ? c’est impossible ; désirer Dieu et désirer ses créatures, ce sont deux désirs qui s’excluent l’un l’autre (p. 334). » À quoi nos modernes sont capables de répondre que c’étaient là des chrétiens abstraits et outrés… Eh, messieurs de la théologie moderne, vous êtes très capables !

La virginité immaculée, on ne saurait trop le répéter, fut proclamée comme principe suprême par le monde chrétien. « Une vierge a mis au monde le Sauveur, une vierge a donné la vie à la vie universelle, une vierge a porté dans son sein celui que l’univers