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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

La croyance au ciel chrétien a pour base un jugement de la raison ce qu’on trouve ici bon, beau, noble, aimable, on le transporte là-haut comme la seule existence digne d’exister, et on en exclut tout ce qui est contraire, tout ce, par conséquent, dont on désire ardemment la non-existence. Ainsi, un autre monde dont on ne connaît rien, comme le veut le scepticisme, est une chimère ridicule. L’autre monde est, au contraire, destiné faire disparate les douloureuses scissions. les terribles ruptures qu’un homme aperçoit entre lui et la vie politique et sociale ; comment osez-vous alors parler à la religion d’un autre monde inconnu ? Est-ce par hasard que l’inconnu d’outre-tombe rendrait heureux ceux qui ne connaissent que trop les poignantes misères terrestres ? Il faudrait, au contraire, être assez logique pour leur laisser leur autre monde bien connu dans la religion. C’est cette gaucherie en fait de logique qui rend si désagréable le scepticisme religieux.

Ibi nostra spes erit res, dit saint Augustin avec raison ; l’autre monde est la noce de l’homme avec la divinité, sa fiancée éternelle. Dans la noce, sa bien-aimée ne devient pas un autre être, mais elle devient la sienne à lui, son âme à lui  : et comme le paganisme renferma dans des urnes mortuaires les cendres des amis défunts, de même le christianisme renferme dans l’autre monde, comme dans un mausolée, ce qu’il y a de plus précieux aux yeux d’un chrétien, l’âme individuelle.

Pour bien connaître une croyance religieuse, regardez-la aussi dans ses degrés inférieurs, crûment matériels et barbares ; regarde-la non-seulement en ligne ascendante, mais aussi dans la largeur et l’étendue de son existence. En contemplant la religion des religions, la religion absolue, c’est-à-dire le christianisme, vous devez toujours penser en même temps aux autres religions. Ce médecin qu’on appelle philosophe critique et dialectique, découvre l’essence de la religion, souvent même dans les plus affreuses maladies, c’est-à-dire, aberrations religieuses ; il voit aussi à travers les représentations les plus grossières, les plus touchantes, les plus attendrissantes, les plus humaines. Qu’y a-t-il de plus saisissant que cette idée que des populations sauvages se font de l’autre vie ? Ils se la représentent comme l’actuelle, ou l’actuelle améliorée ; selon les rapports de quelques voyageurs anciens il y en a même qui croient que l’autre vie sera encore plus misérable que l’actuelle. Quoi qu’il