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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

convenablement empruntée au règne animal. Avec cela elle arrache, pour ainsi dire, à la Trinité cœur et âme. Mais n’oublions jamais que cette philosophie, ou plutôt théosophie spéculative, a une fois pour toutes séparé ce qu’elle appelle la raison spéculative (spéculative Vernunft) et la réflexion (Verstand) : armé de cette distinction on n’éprouve en effet aucune difficulté de justifier un non-sens quelconque. Pour faire honneur à la religion dite absolue (le christianisme spéculatif d’après Hegel), les philosophes spéculatifs de la religion se permettent d’innombrables ruses à la manière des anciens cabalistes ; et certes, avec un pareil système de l’arbitraire absolu, si l’on n’en employait qu’une partie seulement en faveur des religions dites inférieures, on pourrait trouver le moyen de confectionner avec les cornes du bœuf égyptien Apis, cette boite de Pandore qu’on appelle la dogmatique chrétienne. Allez, séparez toujours la raison et la réflexion, et vous verrez !…

Voilà trois personnes essentiellement unies en Dieu : tres personae, sed una essentia, disaient les anciens, et on ne saurait blâmer cette combinaison aussi naturelle que rationnelle ; on peut bien imaginer et penser trois ou quatre ou cinq personnages et plus, qui sont identiques entre eux d’après leur essence. Les individus humains, tout variés qu’il soient par de nombreuses différences personnelles, sont entièrement égaux, ou plutôt ne font qu’un, d’après l’essence humaine ; regardez-les du point de vue humain, et ils sont tous identiques dans l’humanité. Remarquez que cette identification n’est pas faite seulement par le raisonnement dialectique, mais aussi par le sentiment : nous avons de la sympathie, de la compassion pour un individu quelconque sans nous enquérir de son état intellectuel et moral, de sa condition sociale et politique, nous le savons membre de la société humaine, et cela nous suffit, Le sentiment de la sympathie est donc un de ces sentiments que la philosophie appelle substantiels, essentiels, ou spéculatifs ; en langage religieux et poétique sentiments sublimes, magnifiques, célestes, etc. Les trois, les quatre, les cinq personnes humaines ou plus, que je viens de citer comme parallèle de la Trinité, existent chacune à côté et en dehors des autres, elles ont chacune une existence séparée ; physiquement elles sont plusieurs, moralement elles ne sont qu’une. Mais gardez-vous d’appliquer cela à Dieu il est composé de trois hypostases qui n’existent point isolément ; on se rappelle les som-