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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

quand elle ne s’assimile que les fidèles, en repoussant les infidèles ; elle est bonne envers les fidèles, méchante envers les infidèles. Il n’y a pas à contredire, cette croyance orthodoxe, qui est censée être à la fois germe, racine, fleur et fruit, porte en elle un mauvais principe, en même temps qu’elle est la véritable foi du vrai Dieu, comme lui est la personnification de cette foi, la Foi en personne.

C’est précisément ce Dieu de la foi exclusive, le Dieu orthodoxe, soit catholique, soit autre, qui dans l’Église victorieuse est tout à fait identique avec Satan ; le christianisme devient alors le satanisme[1].

  1. « Les païens, dit Madame Staël, avaient, pour ainsi dire, une âme corporelle, dont tous les mouvements étaient forts, directs et conséquents ; il n’en est pas de même du cœur humain développé par le christianisme : les modernes ont puisé dans le repentir chrétien l’habitude de se replier continuellement sur eux-mêmes (de l’Allem. I, 263). » Ceci est parfaitement exact. Les chrétiens craignant de tomber dans l’excès du paganisme, voulaient spiritualiser leur chair : les résultats de ce système chrétien et antihumanitaire sont connus depuis dix-huit siècles : hypocrisie intérieure, aliénation d’esprit, altération matérielle du corps. La vraie théologie, catholique et protestante, avoue elle-même implicitement qu’il en est ainsi, quand elle dit que les véritables effets de la foi ne se manifesteront que dans l’autre monde ; le morale actuel peut donc très bien rester croupi dans la fange, sans que le christianisme, qui est transcendant, ait besoin de s’en scandaliser ; de là ce refrain perpétuel que la théologie moderne oppose à la théorie et à la pratique du progrès humanitaire : « Ne soyez pas audacieux, l’homme sera ici-bas toujours misérable, priez et humiliez-vous, » c’est dire, restez repliés sur vous-mêmes ; ce qui est un singulier moyen pour faire des réorganisations politiques et sociales. Bref l’Église, soit catholique, soit protestante, frappe, et doit frapper, d’anathème tout progrès sur terre ; toujours et partout c’est malgré elle et contre elle qu’il s’est fait. Elle doit, à moins de se suicider, maintenir le dogme de la prédestination ou de la fatalité, qui consacre nécessairement la non-liberté, la non-égalité, la non-fraternité. Madame Staël dit : « La fatalité des anciens (païens) est un caprice du destin, mais la fatalité dans le christianisme est une vérité morale sous une forme effrayante (de l’Allem. II, 224). » Madame Staël ne s’aperçoit pas que cette fatalité chrétienne n’est à son tour qu’un caprice du Dieu chrétien. — Châteaubriand, dans son Génie du christianisme, a beau dire que, pour réfuter ce qu’il appelle les attaques des sophistes, « on devrait chercher à prouver au contraire que la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres, de toutes les religions qui ont jamais existé : » la seule chose que l’on saurait prouver, c’est que cette religion plus que toute autre, attaque et ébranle le système nerveux. Mais il ne s’agit plus de religion ; celle de l’avenir sera précisément la non-religion. Même la plus vaillante, la plus chevaleresque de