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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

L’honneur de Dieu ne vaut-il pas incomparablement plus que l’honneur de l’homme ? Ainsi, le commandement suprême, c’est-à-dire le seul qui existe, c’est la foi : croyez, cela suffit. Resurrexit Christus, absoluta res est, s’écrie avec transport Augustin (Sermons au Peuple. 242, c. 1 ; 361, c. VIII) ; Dieu est revenu des morts, c’est fini vous n’aurez plus rien à penser. « Causa fidei… exorbitantem et irregularem prorsus favorem habet et ab omni jure deviare, omnem captivare rationem (c’est-à-dire, la foi a le privilège de faire tout ce qu’il lui plaît), nec judiciis laïcorum ratione corrupta utentium subjecta creditur. Etenim causa fidei ad multa obligat, quae alias sunt voluntaria, multa, imo infinita remittit, quae alias praecepta, quae alias valide gesta anuullat, et contra quae alias nulla et irrita, fiunt valida… ex jure canonico (J. H. Bœhmer, Jus Eccles. Lib. V., tit. VII. parag. 32, 44 etc.). Le droit ecclésiastique est donc tout autre que le droit vulgaire, c’est-à-dire, que le Droit de l’Homme ; il lui est contraire.

Précisément parce qu’il n’y a aucune connexité intérieure et naturelle entre le sentiment moral et la foi, on veut que la foi se manifeste par les bonnes œuvres, par la fraternité. Ce commandement adressé à la foi démontre d’une manière indirecte qu’au fond la foi n’est pas de la fraternité ; on ne s’attend pas à ce que la foi agisse fraternellement, et on croit y remédier en lui imposant l’obligation de faire de bonnes œuvres. Mais elle ne remplit cette obligation que quand cela lui plaît. La foi est indifférente envers les devoirs mo raux, et Placetta dit : « Il ne faut pas chercher dans la nature des choses mêmes la véritable cause de l’inséparabilité de la foi et de la piété ; il faut, si je ne me trompe, la chercher uniquement dans la volonté de Dieu » ; à quoi J. O. Ernesti ajoute (Vindiciae arbitrii divini, opusc. theol, p. 297) : « Bene facit et nobiscum sentit, cum illam conjunctionem (sanctitatis sive virtutis cum fide) a benefica Dei voluntate et dispositione repetit ; nec id novum est ejus inventum, sed cum antiquioribus theologis nostris commune. » Et le concile de Trente enchérit sur cela, en décrétant (Sess. VI, de justif. Can. 8) : « Si quis dixerit… qui fidem sine caritate habet, chritianum non esse, anathem sit. » La foi ne regarde donc point la vertu, ni la vertu la morale ; ce sont deux notions qui n’ont rien de commun, et quand on les lie ensemble, de sorte que la foi soit modifiée par la morale, alors on ne peut assurément pas dire que la