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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

Père céleste ? La blasphémie est donc réellement le plus grave de tous les crimes ; or, les hérésies appartiennent toutes à la catégorie des blasphémies, un hérétique quelconque est donc par là le plus détestable de toux les criminels. Sans ennuyer ici le lecteur par les innombrables passages d’appui dont la littérature théologique fourmille, je ne peux me défendre de citer J. Œcolampade, qui écrit à Michel Servet (Historia Mich. Servet, H. ab Allwoerden. 1727, Helmstadt. p. 13) : « Dum non summam patientiam prae me féro, dolens Jesum Christum Filium Dei sic dehonestari, parum christiane tibi agere videor, » et il ajoute : « Dans d’autres circonstances je suis doux, mais je ne le suis pas quand il s’agit d’une blasphèmie contre le Christ. Et Œcolampade parle ici en bon et honnête serviteur du Dieu trinitaire ; de même Calvin, qui deux heures avant l’exécution de Servet vint le trouver et lui parle : « Ego vero ingenue praefatus, me nunquam privatas injurias fuisse persecutum, etc. » « et après cela, ajoute-t-il (Ibid. p. 120), je me suis retiré selon le mot de l’apôtre Paul, car j’ai laissé l’hérétique qui péchait autokatakritos. » Calvin est véridique, et je ne vois aucun inconvénient d’ajouter foi à cette assertion : il pousse le docteur Servet dans les flammes du bûcher sans lui porter une haine personnelle. Philippe Melanchthon, homme très doux en général, approuve l’exécution de Servet. Les théologiens de la Suisse allemande, auxquels le sénat de Genève avait soumis cette affaire, ne disent rien dans leur réponse sur la peine de mort : mais ils sont d’accord avec les bons Genevois : « Horrendos Serveti errores detestandes esse, severiusque idcirco in Servetum animadvertendum. » Ce severiusque est très bien : sévissez un peu sévèrement contre Servet. Du reste, Calvin était assez bon chrétien, je me hâte de l’avouer, pour vouloir commuer la peine cruelle que le sénat avait prononcée ; et d’un autre côté, beaucoup de théologiens du siècle suivant ont approuvé l’exécution de Servet (par exemple M. Adami Vita Calvini, p.90 ; Vita Bezae, p. 207 ; Vita Theol. exter. Francof. 1618). Un parti nombreux parmi les christicoles rejette la peine de mort contre les hérétiques, mais il leur applique avec plaisir tout autre châtiment : la confiscation, l’exil, le pilori, la fustigation, le fer rouge, la prison perpétuelle, bref, tout châtiment l’aide duquel on assassine par voie indirecte et insidieux. Cela leur paraît être en harmonie avec la foi chrétienne (J. H. Boeh-