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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

tion sous laquelle l’amour sera radical, sincère, libre et entouré de garanties suffisantes ; il se base alors sur l’essence humaine, d’où naquit l’amour fraternel prêché par Jésus-Christ. L’amour de Jésus-Christ même était un amour humanitaire ; il ne nous aima point de son propre plein pouvoir individuel, mais par la nature de l’humanité. Si vous aimez d’un amour qui se base sur une personnalité, sur celle du Christ même, alors cet amour est un amour particulier, qui ne va pas au-delà de la sphère de la personnalité du Christ : là où celle-ci finit, finira l’amour. Vous voulez que nous ne nous aimions les uns les autres, que parce que le Christ nous a aimés ? Mais pensez donc que ce serait là un amour imité. Comment, l’homme n’aimerait pas l’homme, s’il n’eût pas été aimé par le Christ ? et le Christ serait ainsi la seule cause de l’amour ? Impossible. Le Christ est plutôt l’apôtre de l’amour ; la cause de son amour était l’unité fraternelle de la nature humaine. Cessez enfin de torturer les idées et les mots. Vous dites : « Tu dois aimer le Christ plus que l’humanité ; » vous ne savez pas ce que vous dites. Ce serait là un amour purement cchimérique. Je ne saurais jamais franchir la périphérie du genre humain, dont je ne suis qu’un individu ; je ne saurais jamais aimer quelque chose au-dessus de l’humanité. La magnifique et sublime grandeur de Jésus-Christ était précisément son amour et tout ce qu’il était, lui, Jésus, il l’avait emprunté de l’amour. Jésus-Christ n’était point le propriétaire exclusif de l’amour, n’en déplaise aux superstitions théologiques. La notion de l’amour est une notion basée sur elle-même, et je n’ai pas besoin de la tirer par voie d’abstraction de la vie de Jésus ; bien au contraire, je ne reconnais cette vie que parce que je la trouve en harmonie naturelle avec la loi et la notion de l’amour fraternel.

L’histoire prouve cela suffisamment. Ce n’est point le christianisme qui a mis au monde l’amour, ce n’est point le christianisme qui l’a implanté dans la conscience humaine. L’idée fraternelle est loin d’être exclusivement chrétienne : regardez les horreurs Rome païenne accompagner l’apparition de l’idée chrétienne. Cela signifie que l’empire politique, qui unissait d’une manière incomplète une partie du genre humain, a été nécessairement sapé dans ses fondements et réduit en cendres : l’unité dite politique est une violence, qui pendant une époque peut être très utile, mais qui