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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

haïssent Dieu, et en même temps aimer Dieu qui veut que nous obéissions à sa parole et non à celle d’un autre… Ce que je ne peux aimer avec Dieu, je dois le haïr. Aussitôt que tu commences à prêcher quelque chose contre Dieu, nous te haïrons et nous oublierons de t’avoir jadis aimé. La croyance doit toujours et partout avoir le dessus ; quand il s’agit de la parole de Dieu, l’amour s’éteint et la haine se rallume. Ainsi, David veut dire qu’il ne hait pas les hommes parce qu’ils lui causent du chagrin, mais parce qu’ils mènent une vie scandaleuse et impie en ce sens qu’ils méprisent la parole divine. » — « Je vous le dis, amour et foi sont deux choses distinctes. La foi ne veut supporter rien. l’amour supporte tout. La foi maudit, l’amour bénit. La foi veut jouir de la vengeance et de la punition, l’amour veut jouir du pardon. » — « La foi est si vaillante qu’elle brave l’univers entier ; elle voudrait faire périr toutes les créatures plutôt que de laisser la parole divine succomber sous l’hérésie : car, par l’hérésie, on se sépare de Dieu. » — Comparez Augustin (Enarrat. in psalm. 138, 139) ; lui aussi, comme Luther, distingue ici l’homme et l’ennemi de Dieu, l’homme et l’hérétique ; « Haïssez, dit-il, l’impiété, la rébellion contre Dieu dans un individu, mais respectez dans ce même individu l’humanité. » Mais c’est là un indigne sophisme, car, aux yeux de la foi, l’individu impie, c’est-à-dire l’individu antichrétien ou ennemi de Dieu, n’a pas de la valeur ; un homme sans foi, c’est un homme sans Dieu, c’est un zéro, que dis-je, c’est un damné. La foi, c’est-à-dire Dieu, est l’ensemble de tout ce qu’il y a de vrai, de beau, de juste, de noble, de réel ; la conclusion n’en est pas difficile. Ne venez pas m’objecter que Dieu a crée l’homme comme son image ; cette image n’est que la faible copie du Dieu extérieur, du Dieu créateur ; mais le Dieu intérieur, le Dieu vrai, la véritable essence de Dieu, ne se montre que sous la figure de la Trinité, ou spécialement du Christ. Voyez Luther (XIV, 2, 3. — XVI, 581). L’image extérieure, le corps humain, appartient à tous, mais l’image intérieure, la foi, n’appartient qu’aux fidèles. En outre, la théologie veut qu’on aime l’homme à cause de Dieu et nullement à cause de l’homme : Diligendus est propter Deum, Deus vero propter se ipsum, dit Aurèle Augustin de doctrina chr. 1, 27, 22. La plus grande inconséquence serait donc celle d’aimer un homme qui ne ressemblerait pas à ce Dieu, c’est-à-dire d’aimer un homme antichrétien. La foi érige un