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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

sang déguise sous la forme du vin ? pourquoi cette chair cachée sous la forme d’un pain ? Cette objection ne signifie rien. Le chrétien mange du pain et boit du vin devant l’autel, pour éviter l’anthropophagie ouverte ; c’est-a dire afin que leur homo verus, leur bon-sens naturel ne se révolte. « Etenim ne humana infirmitas esum carnis et potum sanguinis in sumptione horreret, Christus velari et palliari illa duo voluit speciebus panis, et vini (Saint Bernard, edit. cit. p. 189.191). Est-ce clair ? Dieu ne transforme sa chair et son sang en pain et en vin, que pour ne pas effaroucher la faiblesse humaine. À quoi Pierre Lombard (Sentent., lib. IV. Distinc., II, c. 4) ajoute l’explication suivante « Sub alia autem specie tribus de causis carnem et sanguinem tradit Christus et deinceps sumendum instituit. Ut fides scilicet haberet meritum, quae est de bis quae non videntur (en effet, si le calice contenait du sang et la patène de la chair musculaire, la foi n’y aurait plus rien à faire) : « quod fides non habet meritum, ubi humana ratio praebet experimentum. Et ideo etiam ne abhorreret animus quod cerneret oculus ; quod non habemus in usu carnem crudam comedere et sanguinem bibere… Et etiam ideo ne ab incredulis religioni Christianae insultaretur (ceci est une excuse théologique qui ressemble fort à une mauvaise plaisanterie). » — Unde Augustinus : « Nihil rationabilius quam ut sanguinis similitudinem sumamus, ut et ita veritas non desit et ridiculum nullum fiat a paganis, quod cruorem occisi hominis bibamus[1]. »

Je sais fort bien, que l’anthropophagie est ici une théanthropophagie, on n’immole pas, on ne mange pas l’homme, mais l’homme-Dieu. Remarquez seulement que le Théanthropos est le prototype

  1. Malgré cette précaution de la part de Dieu, les païens de toutes les classes restaient pendant deux siècles persuadés de l’anthropothysie et de l’anthropophagie chrétienne. Le nouvelle doctrine nia d’un côté l’anthropophagie, mais elle avoua la théophagie d’un autre, en donnant aux mots chair crue et sang fumant une signification allégorique : et pour mettre le comble à la confusion et aux soupçons, toutes les sectes si nombreuses du christianisme primitif poussèrent la mystériocryptie au dernier degré. Elles disaient toujours : « Nos agapes seront prohibées si les païens les voient ; » peut-être avaient-elles adopté cet usage du secret d’après les mystères d’Orphée et d’Éleusis. Mais toujours est-il, qu’après avoir mûrement considéré tout ceci, on trouvera la malveillance des païens envers les chrétiens moins inexcusable ( Le traducteur.)