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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

triumphat de Deo. Si vous n’entendez pas par amour divin la véritable extinction de toute différence entre Dieu et homme, alors le mot amour est un mot vide de sens. Voilà ainsi, au beau milieu du christianisme même, la contradiction sus-mentionnée de la foi et de l’amour. La foi fait que la passion de Dieu ne soit plus qu’une simulation, mais l’amour la prend au sérieux et en fait une vérité. Il s’y agit évidemment de la vérité ; une incarnation non réelle est tout ce qu’il y a de moins intéressant et de plus niais, et force nous est par là d’insister avec énergie sur l’union des deux essences, de sorte que Dieu soit réellement homme et que l’homme soit Dieu. Cela veut dire que d’ici, plus que de tout autre argumentation on peut voir, quel est l’objet suprême du christianisme. Cet objet, c’est L’HOMME.

Ainsi, les chrétiens adorent l’individu humain comme divinité, et la divinité comme l’individu humain.

Cet homme, dit Luther (II, 671) cet homme-là, né de la vierge Marie, c’est Dieu en personne, le grand Dieu qui créa le ciel et la terre. — « Je montre de mon doigt l’homme-Christ, et je m’écrie : voilà le Fils de Dieu (XIX, 594). » – Et le livre de la concorde (Art. 8) dit : « Nous croyons, nous enseignons, nous confessons que le Fils de l’homme est non-seulement Dieu mais aussi homme, et qu’il sait tout, qu’il peut tout, qu’il est tout-présent et nous condamnons cette autre opinion, selon laquelle le Christ n’est pas capable d’après sa nature humaine d’être tout-présent, tout-puissant, etc. » — Buddéus (I. c. IV, c, II, paragr. 17) dit qu’il faut vénérer religieusement Jésus-Christ d’après son corps charnel : « Unde et sponte sua fluit, Christo etiam qua humanam naturam … cultum religiosum deberi. » Avec cela sont les catholiques et les Pères de l’Église parfaitement d’accord : eadem adoratione adoranda in Christo est divinitas et humanitas (Voyez ce culte de l’homme !) … Divinitas intrinsece inest humanitati per unionem hypostaticam : ergo humanitas Christi seu Christus ut homo potest adorari absoluto cultu latriae (Theol. Schol. sec. Thomam Aquin. — P. Metzger, IV, 124). C’est de l’anthropolâtrie déguisée, comme l’eucharistie est de l’anthropophagie déguisée ; et n’y croyez rien si la théologie se reprenant ajoute : « Ce n’est point la chair et le sang de l’homme comme sang et chair, que nous adorons. mais au contraire la chair combinée avec l’essence divine, et outre ado-