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RÉPONSE À UN THÉOLOGIEN

anathème contre moi ; ils aiment le mariage, voire même la polygamie successive, et ils ont pourtant la singulière prétention d’être de bons chrétiens. Pour sortir de cette difficulté, ils m’appellent un hérésiarque qui a l’impertinence d’enseigner que le célibat volontaire est le mystère du vrai christianisme ésotérique. Eh bien ! soit ; car l’essence du christianisme, dont je dis moi-même qu’elle est l’essence humaine, ne saurait se trouver en opposition avec les sentiments et la chair ; or, une religion qui sanctifie l’amour sexuel a évidemment une origine humaine et il serait folie de l’appeler religion révélée, c’est-à-dire extramondaine, surhumaine. L’homme pour suivre ses besoins naturels, et même pour les purifier ou spiritualiser à l’aide de l’esthétique, de la morale et de la politique, n’a assurément point réclamer le secours de Dieu ; ce sont des matérialistes supranaturalistes, des matérialistes en fait de logique et de science naturelle, qui osent dire que l’homme est dépourvu d’intelligence et de cœur, et qu’il ne peut par conséquent parvenir, par sa propre énergie, à se dompter en se moralisant et s’instruisant. Je n’ai pas voulu discuter dans mon livre ce christianisme des modernes, qui certes n’en vaut point la peine…

M. Muller s’écrie « L’auteur puise surtout dans quelques mystiques du moyen-âge, et érige en dogme chrétien chaque effervescence mystique de Bernard et de Pseudobernard. » M. Muller ne sait donc pas que les deux grands noms qu’il vient de citer sont chers même aux réformateurs du XVIe siècle ? Il ne sait donc pas que Salvien, Tertullien, Jérôme, Cyprien, Aurèle Augustin, Origène, Cément d’Alexandrie, Jean de Damasque, Jean Chrysostôme, Ambroise, Grégoire de Nazianze, Minuce Félix, que j’ai cités, sont antérieurs au moyen-âge ? Il ne sait donc pas qu’il faut souvent alléguer Pierre le Lombard à cause de son recueil scrupuleux des décisions personnelles des pères d’église ? Est-ce par hasard que M. Muller aurait mieux aimé de voir une longue file de citations dites dogmatiques, ces trop fameuses descriptions des fonctions du Christ, de la gloire divine, des institutions de Dieu et d’autres objets de la même valeur ? Ne sait-il donc pas que Dieu dans les écrits dogmatisants de ce genre-là est un être mesquinement humain, empiriquement humain, tandis qu’il est un être profondément, richement humain dans les écrits mystiques ?

Le vrai mysticisme est toujours sublime et sincère ; il raye impi-