Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
QU’EST-CE QUE LA RELIGION

tout progrès scientifique n’était-il pas un sacrilége, un crime de lèse-sentiment religieux ? Nos hommes de la réforme ecclésiastique n’ont-ils pas fait périr dans des tourments le réformateur Servet, sans que leur sentiment religieux en éprouvât le moindre regret ?

Le mauvais côté de la religion, ce qu’il y a en elle d’antipathique à la lumière, doit être soumis au pouvoir de la raison sinon, il en résulterait aujourd’hui l’hypocrisie la plus immorale, la plus hideuse qui ait jamais existé depuis le commencement de l’espèce humaine, car aujourd’hui la contradiction entre ce mauvais côté de la religion et les nobles intérêts scientifiques, artistiques, moraux, politiques, serait plus tranchante que jamais. Je ne connais rien de plus repoussant, par exemple, que l’hypocrisie religieuse des naturalistes anglais d’aujourd’hui. Ces malheureux, tout en voulant absolument mettre d’accord leurs résultats scientifiques avec la foi dogmatique et biblique ne cessent pas de se fâcher contre ceux qui disent que tous tes êtres terrestres n’existent que pour l’homme. Et c’est pourtant la Bible qui parle d’un soleil qui s’était arrêté à cause d’un individu humain ; la Bible qui d’un bout à l’autre raconte les changements extraordinaires que toute la nature avait subis pour les enfants d’Israël. Voilà un orgueil bien plus grand que tout autre. Les chrétiens, je le sais, disaient que le monde existait non-seulement pour les mortels, mais aussi pour tes anges, mais les anges ne sont, du point de vue religieux, que tes serviteurs surnaturels de l’homme. Cette hypocrisie, qui s’est manifestée dans les écrits de Machiavel, de Vanuini, de Leibnitz, de Descartes, de Bayle, se reproduit dans ce qu’on appelle en Allemagne la philosophie positive de MM. Fichte jeune, Sengler, etc., d’une façon si tragi-comique.

Le seul antidote contre cette maladie spirituelle est de se pénétrer de cette vérité très prosaïque et très positive : l’homme ne peut plus ressusciter ce qui est mort.

Le système philosophique de Hegel n’a point l’honneur d’avoir tout à fait démasqué et véritablement anéanti cette immense hypocrisie. Ce système se prête malheureusement et à l’orthodoxie et à l’hétérodoxie ; il a ébranlé le supranaturalisme transcendant, voilà son mérite : mais il l’a fait d’une manière transcendante et supranaturaliste, voilà son défaut.

Je me suis proposé de simplifier l’hégelianisme religieux en le