Page:Feugère - Les Femmes Poètes au XVIe siècle, 1860.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88
JEANNE D’ALBRET

dont elle formait le parfait contraste, ses qualités naturelles et acquises trouvèrent pour s’exercer une libre carrière : car elle eut à jouer dans sa maison et dans son parti le rôle de l’homme et du chef. À son énergie et à sa constance, elle joignait les qualités les plus aimables. Belle, mais d’une beauté noble qui n’empruntait rien à la recherche, spirituelle, éloquente, elle fut à la fois la bienfaitrice et l’émule des savants, et surtout des poëtes. Il faut voir dans cette époque, où les gens d’esprit, préludant à l’égalité moderne, commençaient à hanter les princes et même à être courtisés par eux, Jeanne d’Albret répondre à une épître de l’un des chefs de la pléiade, de Joachim du Bellay :


Que mériter on ne puisse l’honneur
Qu’avez écrit, je n’en suis ignorante,
Et si ne suis pour cela moins contente
Que ce soit moi à qui appartient l’heur.

Je connais bien le prix et la valeur
De ma louange, et cela ne me tente
D’en croire plus que ce qui se présente,
Et n’en sera de gloire enflé mon cœur.

Mais qu’un Bellay ait daigné de l’écrire,
Honte je n’ai à vous et chacun dire
Que je me tiens plus contente du tiers,

Plus satisfaite et encor glorieuse ;
Sans mériter me trouve si heureuse
Qu’on puisse voir mon nom en vos papiers[1].

  1. On prononçait alors papières, et ce mot rimait avec tiers d’une manière parfaite pour l’oreille comme pour les yeux. Ainsi foyers (foyères) rimait avec fiers, même au temps de Racine.