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MARGUERITE DE NAVARRE

du Chantre de Laure. On sent que, chez Marguerite, le cœur resté libre ne répète que des sons qui lui sont étrangers. C’est la femme d’esprit qui, pour rivaliser avec les beaux esprits de son temps, s’ingénie à traiter le sujet en vogue ; mais l’afféterie, il faut l’avouer, règne plus que la grâce dans cette partie de ses œuvres. Ainsi en est-il de ses autres poésies légères, et notamment de sa « réponse pour une dame à un amant qui ne s’exprimait que par ses yeux. » Avec la vérité de l’émotion, il y manque le relief de style nécessaire pour renouveler l’intérêt de ce thème traditionnel, et l’auteur tombe souvent dans recueil des genres faux, la bizarrerie, lorsqu’il s’agit par exemple d’oreilles blanches, ouvertes et un peu vermeilles :

Sarbacanes d’amour, pleines de sa leçon,
Qui les gardait d’ouïr autre parole et son.

ou qu’il est question

 … De doigts longs et subtils,
Desquels soulait amour faire ses fins outils
Pour arracher les cœurs du plus profond des corps.

Joignez-y que par un choquant mélange, dans ce style inégal et trop peu poli par le soin, à côté d’une recherche pointilleuse, se rencontrent fréquemment des termes grossiers ou plutôt devenus tels[1] : c’est qu’il n’y avait encore qu’une délicatesse factice dans les sentiments,

  1. À côté de belles images telles que la suivante :
    … Jusqu’à ce que l’âme, pour partir,
    Aura repris ses ailes immortelles,
    on y rencontre des expressions de ce genre : une dame crevée de douleur, etc.