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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

cipalement aux écrivains qui traitaient de la philosophie et de la morale.

Elle avait atteint, dans cette éducation toute personnelle, dix-neuf ou vingt ans, lorsque les Essais, dont les deux premiers livres avaient paru en 1580, à Bordeaux, tombèrent par hasard entre ses mains. Elle éprouva de leur lecture cette commotion électrique, qu’à son jour et à son heure tout esprit d’avenir reçoit d’un livre ou d’une idée qui l’illumine et le révèle à lui-même. Elle a peint avec feu l’enthousiasme dont elle fut saisie par cette œuvre qui offrait un monde nouveau à ses regards. Ce fut pour elle l’étincelle de passion nécessaire au talent pour le faire éclore, ou comme le choc qui donne à l’âme oisive l’impulsion secrète. Peu s’en fallut, dit-elle, qu’à son transport on ne la prît pour une visionnaire. Son goût, plus que la réputation naissante et indécise des Essais, lui en avait découvert l’excellence. Il lui sembla qu’ils l’initiaient tout d’abord à des pensées qu’elle n’avait jusque-là que pressenties, et qu’une sympathie fatale attirait invinciblement son génie vers celui de Montaigne.

Mademoiselle de Gournay n’eut pas dès lors de plus vif désir que celui de lier connaissance avec l’auteur du chef-d’œuvre aimé : ce vœu ne devait se réaliser toutefois qu’environ trois ans après, dans un voyage qu’elle fit avec sa mère à Paris, lorsque Montaigne s’y trouvait lui-même pour réimprimer son ouvrage qu’il avait récemment complété. C’était en 1588 : instruite de cette heureuse rencontre, mademoiselle de Gournay envoya aussitôt un exprès le saluer et lui déclarer