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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

L’intrigue, quoique compliquée à l’excès, n’est pas sans art ; le style, musqué et mignard, n’est pas sans vivacité et sans souplesse. Trop chargée de réflexions, la narration offre par intervalles des traits bien sentis. Ce n’est pas l’œuvre d’un esprit vulgaire. À côté de la manière et de l’effort se rencontrent la facilité et la grâce : si en subtilisant sur la nature et l’effet des passions, l’auteur tombe souvent dans le faux, la femme a quelquefois aussi des aperçus justes et des accents vrais. On peut encore recommander cette lecture, curieuse à plus d’un titre, aux studieux qui ne dédaignent pas de sortir des chefs-d’œuvre.

Deux ans après avoir terminé cet ouvrage, mademoiselle de Gournay perdit sa mère, en 1591 : elle avait alors vingt-six ans. Le besoin des affaires que lui causa ce décès l’ayant conduite à Paris, elle ne tarda pas à s’y fixer. On ne sera point surpris que le séjour de la petite ville où sa jeunesse s’était passée obscurément eût conservé peu d’attrait pour elle ; mais on a dit que le malheur des temps, après la mort de son père, avait bien resserré l’aisance de la veuve et des orphelins : l’héritage sauvé par la prudence de la mère n’assura aux quatre enfants qui lui survivaient que des ressources très-restreintes, eu égard à leur naissance. Là-dessus mademoiselle de Gournay, accusée de s’être ruinée par sa prodigalité, comme on le verra plus loin, est entrée dans de minutieux détails. Il en résulte que la part d’un aîné prélevée (c’était, il est vrai, la part du lion), il restait à peu près pour chacun des trois enfants 2,400 livres de revenu, que diminuèrent en