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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

appelle cette pièce les Trois Racan. Il les a joués devant Racan même, qui en riait jusqu’aux larmes, et disait : « Il dit vlai, il dit vlai[1]. »

Ménage a rapporté la même aventure, mais avec quelques variantes[2]. Suivant lui, la vive demoiselle, passant des paroles aux faits, mit, pour punir celui dont elle se croyait jouée, sa pantoufle à la main. Le marquis de Racan, bon homme et poëte estimable, n’avait pas, comme on a dit, la parole agile. La vue de la pantoufle levée acheva de paralyser sa langue, déjà fort entravée par le bégayement qui lui était naturel. Il tourna les talons au plus vite, et ne se crut en sûreté que lorsqu’il eut placé l’escalier entre lui et mademoiselle de Gournay. Le lecteur choisira entre ces deux versions : il faut observer seulement que Ménage, dans cette anecdote, a commis une erreur en appelant mademoiselle de Gournay une demoiselle gasconne. La pétulance de son humeur, ou peut-être aussi les liens qui l’unirent à Montaigne, l’ont trompé : d’origine picarde, elle était née à Paris, et, suivant l’usage des gens de lettres du temps, elle s’en faisait un titre d’honneur. Dans son Discours à Sophrosyne, placé en tête des dernières éditions de ses œuvres, elle se qualifie de « Parisienne, zélée à ce berceau, hui-

  1. Bois-Robert fit de cette aventure sa comédie des Trois Orontes (Paris, Courbé, 1653, in-4o), dédiée à mademoiselle Martinozzi, nièce du cardinal Mazarin, et qu’il composa, dit-il dans l’épitre dédicatoire, par le commandement exprès du roi. La même aventure avait été placée, sous d’autres noms, par Sorel, dans sa Vraie histoire comique de Francion. Voyez le dixième livre.
  2. Menagiana. Paris, in-8o, 1693, p. 164 et 165.