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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

sur le portrait qu’elle nous en a tracé. Bavards, oisifs et railleurs, les courtisans, d’après elle, avec l’aplomb de l’incapacité suffisante, dénigraient tout pour n’avoir besoin de rien apprendre. Ils croyaient, et pour cause, ce que Fontenelle leur reprochait encore au dix-huitième siècle[1], qu’il n’y avait rien de plus noble que de ne rien savoir. Leur fatuité et leur ineptie, ou, suivant l’expression de mademoiselle de Gournay, leur bec jaune[2], servent de texte inépuisable à ses moqueries. Elle leur prodigue une riche variété d’épithètes mordantes : ce sont « les intrigants du Louvre, les jobs, les frisés, les bien coiffés, les poupées de cour ; » tout leur mérite est dans la coquetterie de leurs ajustements, « dans leur aigrette et leur moustache relevée : » elle ne peut dire ce qu’il faut admirer le plus, de leur nullité ou de leur présomption. On se souvient que Montaigne et Henri Estienne ne les épargnaient pas davantage : c’est que les courtisans, censeurs téméraires et irréfléchis, s’arrogeaient alors sur les usages et sur la langue une juridiction qui pouvait nous être très-funeste ; « ils se rendaient (selon les termes de mademoiselle de Gournay) très-impertinemment précepteurs publics, tandis que chacun les eût refusés pour disciples. » Sans esprit national, sans culte pour les traditions, sans autre passion que celle du change-

  1. Éloge du marquis de L’Hôpital.
  2. Avoir le bec jaune (d’où béjaune), c’était manquer d’expérience et de sens. Cette locution métaphorique, empruntée à la vénerie (on sait que les jeunes oiseaux ont le bec garni d’une sorte de frange jaune), se trouve dans Molière : Don Juan, II, v.