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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

naire. Aussitôt la vieille sibylle commande à sa servante, pas plus jeune quelle, de s’aller planter au bout de la salle, de prononcer distinctement Raffinage, et d’en faire bien sonner toutes les syllabes, appuyant dessus de toute sa force. La servante obéit, fit une profonde révérence à l’antique, et prononça raffinage de manière à faire croire qu’elle avait un vrai gosier d’airain. Ceux qui étaient pour ce mot firent une favorable inclination de la tête ; ceux qui étaient contre, la hochèrent, et ceux qui balançaient firent un certain hon, en serrant les lèvres : marque qu’ils étaient à demi gagnés. Encore une fois, dit la maîtresse. La servante fit une seconde révérence et prononça derechef Raffinage, haussant la voix presque de deux tons. Eh bien ! dit mademoiselle de Gournay, en se tournant gracieusement vers ces messieurs, que vous semble de raffinage ? Pour moi, je trouve qu’il ne sonne pas mal à l’oreille. Vous dites vrai, répondit un de ces vénérables juges, au nom de tous. Il fut donc conclu que raffinage aurait son passe-port avec un brevet de mot du bel usage. »

Cet aréopage philologique, cette singulière séance, donnent une juste idée de la manière dont fut reçu plus d’un terme : grande affaire à cette époque, et pour laquelle on se ménageait d’avance des partisans. Balzac écrivait ainsi à l’un de ses amis, au sujet d’un verbe, fort goûté depuis, qu’il a le premier mis en vogue : « Je vous félicite d’avoir M. de Roncières pour gouverneur… Si féliciter n’est pas encore français, il le sera l’année qui vient ; et M. de Vaugelas m’a pro-