Page:Feugère - Les Femmes Poètes au XVIe siècle, 1860.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
MADEMOISELLE DE GOURNAY.

n’en faisait point du tout. » Grâce à ces théories, la poésie, dénuée d’inspiration, ne redevenait-elle pas une œuvre de patience, comme au temps où, « par diverses mesures de vers, on représentait des œufs, des ailes, des cognées et autres fadaises ? » Pour en arrêter les prétendus écarts, ces réformateurs en épuisaient la sève ; ils en élaguaient les branches les plus vigoureuses et les plus florissantes ; enfin ils la dépouillaient, pour retenir son expression pittoresque, « de fleur, de fruit et d’espoir. » Que penser notamment de la guerre acharnée qu’ils faisaient aux métaphores, appelées par Vida le langage des dieux ? Les idiomes antiques les plus beaux et les plus généreux ne les offraient-ils pas en abondance ? Les meilleurs écrivains, et Virgile plus qu’aucun autre, n’en étaient-ils pas partout émaillés ? Maintenant cette locution, « le vin rit dans l’or, » et de pareilles figures, ne provoquaient plus qu’un rire moqueur. Autant valait-il dès lors, au dire de mademoiselle de Gournay, entendre jouer de l’épinette sur une planche, que d’ouïr parler, soit en vers, soit en prose, ces nouveaux docteurs, qui coloraient leur impuissance et leur sécheresse du nom de politesse et de pureté, prêchaient leurs défauts comme des règles et s’érigeaient en modèles de style : semblables au renard « qui, voyant qu’on lui avait coupé la queue, conseillait à tous ses compagnons qu’ils s’en fissent faire autant pour s’embellir et se mettre à l’aise. » C’était avec la même bonne foi, selon mademoiselle de Gournay, qu’ils dissuadaient d’écrire à la façon d’un Ronsard, d’un du Bellay, d’un Desportes,