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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

quelques minuties, est dans le sens du progrès ; elle est l’expression d’un besoin qui se lie au mouvement continu des esprits et de la littérature. À mesure que la poésie marche en avant, les règles deviennent en effet plus sévères et plus étroites : les licences, d’abord multipliées, se restreignent ; les exceptions s’effacent : c’est que pour le talent exercé elles ont cessé d’être nécessaires. Mademoiselle de Gournay veut donc mal à propos remonter le flot intellectuel ; elle s’indigne à tort contre des entraves qui n’embarrassent que la médiocrité et n’arrêtent que la faiblesse, mais dont la contrainte salutaire, avertissement et aiguillon du génie, lui imprimera, en le forçant d’être sur ses gardes, une allure plus ferme et plus rapide. Ces menus scrupules de grammaire et de versification, comme parle mademoiselle de Gournay, qui en fait trop bon marché, vont justement élever notre littérature à cet accord heureux de l’imagination et de la raison, à ce point culminant et unique d’inspiration et d’exactitude qui la mettra dans le dix-septième siècle en possession de la suprématie européenne[1]. La révolte intéressée des anciens poëtes contre les prescriptions qui les gênaient sera donc impuissante ; et malgré leurs clameurs on continuera d’épurer de jour en jour la versification et le style français, pour les rendre en quelque sorte de

  1. Bossuet pouvait dire avec vérité, dans son discours de réception à l’Académie française (1671), que grâce aux ouvrages de son temps, « où l’on voyait la hardiesse, qui convient à la liberté, mêlée à la retenue, qui est l’effet du jugement et du choix… notre langue, semblait avoir atteint la perfection qui donne la consistance. »