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HONORÉ D’URFÉ.

à ce monde de cheyaliers, de bergères, d’enchanteurs, on finit par y circuler avec aisance, et même avec un certain plaisir. La composition, fort compliquée sans doute, ne manque pas d’unité. Le sujet principal et l’intérêt dominant cheminent, sans trop d’encombre, à travers le dédale de nombreux épisodes accessoires : l’auteur tient d’une main habile le fil délié qui nous peut guider dans ce labyrinthe. De plus il possède une connaissance assez profonde du cœur humain, quoique chez lui, comme le remarquait Fontenelle, moins judicieux dans ses Pastorales que dans cette critique, les bergers se montrent parfois de pointilleux sophistes[1] ; il comprend le jeu des passions, et surtout analyse avec finesse le sentiment de l’amour. Des contrastes piquants résultent de deux caractères très-bien soutenus qu’il a su opposer l’un à l’autre : celui de Sylvanire, qui représente la tendresse fidèle dont la langueur se nourrit de soupirs, et celui d’Hylas, type de l’humeur volage, toujours prête à courir librement après de nouvelles jouissances. Dans la physionomie de ce dernier personnage, où éclate une vivacité toute française, perce le scepticisme, qui devait plus tard discréditer la passion en la rendant ridicule. Honoré d’Urfé a tracé ce portrait en maître, et sa complaisance à l’achever me permettrait peu de croire que les soucis d’une tendresse éternelle aient trouvé place dans son cœur. Il semble qu’il ait voulu nous offrir lui-même la contre-partie du

  1. Fontenelle a d’ailleurs célébré par de jolis vers l’Astrée et son auteur.