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LE MARÉCHAL DE MONTLUC.

passé au fil de l’épée[1]. Inaccessible à tout sentiment de pitié, il n’épargne pas même, quand il les trouve dans un autre camp, ses anciens compagnons d’armes, et la qualité qu’il estime le plus, la bravoure, ne les protège pas auprès de lui : tout au contraire. Témoin le capitaine Héraud, « un brave soldat, dont je connaissais bien la valeur, dit-il ; voilà pourquoi je le fis pendre. » Le point essentiel dont il se targue, « c’est de ne sauver aucun de ses ennemis ; » et il nous déclare sans sourciller qu’il en a « étranglé bon nombre de ses propres mains ; » ce qui, ajoute-t-il naïvement, l’a fort décrié parmi eux. Aussi ne se dissimulait-il pas que s’il fût tombé en leur pouvoir, « la plus grande pièce de son corps n’eût pas été plus grande qu’un des doigts de sa main. » Ce n’est pas que pour triompher de lui on n’eût employé d’autres moyens que la force. On s’était efforcé de le gagner par des offres considérables d’argent. Mais il avait fallu reconnaître qu’il était très-dangereux d’aborder avec des propositions malséantes un homme qui savait jouer des mains comme lui.

Malgré cette triste et odieuse monotonie, les Commentaires de Montluc demeureront toujours une des plus précieuses sources d’information que l’on puisse interroger. C’est un tableau sincère de ces temps critiques où, sous la forme religieuse, éclatait avec tant de puissance la révolte de la pensée préludant h. l’indépendance moderne. Mais que de sang versé, que de maux privés et publics devaient acheter cet avenir ! Les trai-

  1. Voyez d’Aubigné, I, iii, 11.