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LE MARÉCHAL DE MONTLUC.

grande, qu’il y a de danger pour ceux qui portent les armes et mêmement qui commandent ; car la nécessité de la guerre nous force, en dépit de nous-mêmes, à faire mille maux et faire non plus d’état de la vie des hommes que d’un poulet. » Ce besoin nouveau qu’il éprouve de demander pardon à Dieu, des pertes répétées qu’il venait d’essuyer dans sa famille l’avaient sans doute fait naître en attendrissant son cœur. Il vit mourir en effet presque coup sur coup trois de ses enfants, moissonnés jeunes dans la guerre, qui l’avait épargné lui-même jusque dans sa vieillesse. Ce tribut qu’il eut à payer fut-il à ses yeux une leçon et un châtiment de la Providence ? Quoi qu’il en soit, à l’homme insensible et farouche va succéder le père, et sous cette rude enveloppe se découvre un cœur ouvert aux sentiments de la nature. Entendons les regrets qu’il donne à l’un d’eux, avec un accent mâle et une simplicité héroïque : « Quand je l’eus perdu, il me sembla que l’on m’eût coupé mes deux bras… Je peux dire sans honte, encore que ce fût mon fils, que, s’il eût vécu, c’eût été un grand homme de guerre, prudent et sage ; mais Dieu en a autrement disposé[1]. »

  1. Il déplore ailleurs, presque dans les mêmes termes, le trépas de l’aîné de ses fils, appelé Marc-Antoine, qui fut tué près de Rome (1556) en faisant bravement son devoir : « Si Dieu me l’eût sauvé, j’en eusse fait un grand homme de guerre ; car, outre qu’il était fort vaillant et courageux, je connus toujours en lui une sagesse qui excédait la portée de son âge. » De la pièce du poëte de Brach à l’honneur de Montluc, il résulte qu’il avait quatre fils ; qu’il perdit le premier sur les remparts d’Ostie, ensuite que Peyrot (le capitaine Montluc) fut tué dans une île en faisant voile vers l’Afrique, et que Fabien périt en forçant la