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LE MARÉCHAL DE MONTLUC.

prie vous en retourner et montrez-moi tous l’amitié que vous m’avez portée ; gardez qu’il n’en échappe un seul qui ne soit tué. »

Combien j’aime mieux le duc de Guise qui, frappé à mort, et non pas sur un champ de bataille, mais dans un guet-apens, non par un ennemi, mais par un assassin, lui adressait des paroles de pardon, qui ont si bien inspiré Voltaire [1]. Et ce n’est pas vers cette époque, grâce à Dieu, le seul exemple de générosité que l’on puisse opposera ce ressentiment sauvage. Le vice-roi d’Écosse, le comte de Murray, tombant sous les coups d’un meurtrier, lui pardonnait ; et sur ce qu’on blâmait sa clémence : « Je ne saurais, disait-il, me repentir en mourant d’avoir écouté la pitié. » Auparavant on avait vu Richard Cœur de lion, blessé mortellement au siège de Chalus, épargner, après s’être rendu maître de la place, l’archer qui l’avait atteint. Digne conduite de celui qui s’était armé pour délivrer le tombeau du Christ !

Trop obéi dans son ordre de carnage, Montluc survécut avec ses deux joues percées, et se remit même assez bien pour se trouver en 1573 au siège de la Rochelle, où échoua le duc d’Anjou. Mais son humeur n’était que de plus en plus sombre. On en jugera par ses plaintes : « Ma récompense, dit-il, a été une

  1. Des dieux que nous servons connais la différence :
    Les tiens t’ont commandé le meurtre et la vengeance ;
    Et le mien, quand ton bras vient de m’assassiner,
    M’ordonne de te plaindre et de te pardonner.

    (Alzire, acte V, sc. vii)