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LE MARÉCHAL DE MONTLUC.

partie de son originalité. Autrement, comme la plupart des hommes formés par des études classiques, il eût imité les Grecs et les Romains dans leur pensée, sinon par leur langue ; ce qu’il n’eut garde de faire, dirigé par les seules lumières du vif esprit qu’il tenait de la nature. Aussi, tandis que de Thou composait en latin, à l’usage des érudits, son éloquente histoire, cet écrivain improvisé, plus naïf et plus vrai que de Thou, grâce à l’emploi de son propre idiome jusqu’alors dédaigné, écrivait-il ses Commentaires pour le public, qui les adopta ; et ce livre dut à cette bonne fortune une vogue aussi prompte que générale[1].

La pétulante ardeur, la plume novice du vieux guerrier, s’alliaient à merveille avec les qualités de ce vulgaire encore peu manié et qui, par cela même, était plus prompt à suivre les caprices de la pensée individuelle. Aussi il écrit, disons mieux, il parle comme il a combattu[2] ; son imagination replace devant ses yeux, devant ceux du lecteur, le passé évoqué par ses souvenirs ; c’est ce qui rend son langage si coloré et si pittoresque.

En outre, ses convictions fortement arrêtées lui communiquent une allure ferme et décidée. De là un style inachevé sans doute, brusque et inégal, mais qui

    attend, dit-il, qu’il nous fasse voir son histoire, ajoute : « Je ne crois pas qu’un homme si savant, comme on dit qu’il est, veuille mourir sans écrire quelque chose, puisque moi, qui ne sais rien, m’en suis voulu mêler. »

  1. Il fut imprimé pour la première fois à Bordeaux en 1592 ; et l’on peut voir l’opinion des contemporains dans une des Lettres de Pasquier (XVIII, 2), qui donne plusieurs extraits des Commentaires.
  2. C’est ce que Quintilien a dit de César : Eodem animo dixit quo bellavit. (Inst. orat., X, 1.)