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LES FEMMES POËTES

se plaçait pourtant au rang des personnes les plus considérables par leur mérite, et spécialement, d’après le langage de l’époque, « les plus versées dans notre poésie. » Madeleine Deschamps, qui épousa le contrôleur général Servin et fut la mère du célèbre avocat général de ce nom, rimait avec autant de bonheur en français qu’elle écrivait en latin et en grec. À Paris également, Anne de Graville, dont le père avait été amiral de France, mettait en vers la Théséide de Boccace[1], qui, dans la vogue déjà signalée de l’Italie et de ses productions, trouvait encore, on le verra plus loin, une autre femme pour interprète[2]. La dame de Villeroi, née de l’Aubespine, renommée pour son esprit et pour sa beauté,

  1. C’était par ordre de la reine Claude, épouse de François Ier, qu’elle avait entrepris ce travail, qui est conservé manuscrit à la bibliothèque impériale. Sa devise elliptique était ainsi conçue : Musas natura, lacrymas fortuna. Elle fut, du côté paternel, la bisaïeule d’Honoré d’Urfé.
  2. Voici l’argument de cette œuvre, alors si célèbre, qui tira son nom de Thésée. Deux illustres Thébains, Arcite et Palémon, amis et rivaux, sont épris ensemble d’Emilie. Arcite est préféré ; mais lorsqu’il vient de remporter le prix d’un tournoi, son cheval se cabre, le renverse, et cette chute est mortelle. Toutefois, avant qu’il meure, Thésée, instruit de la passion partagée qu’il ressentait, lui fait épouser sa maîtresse, qui presque aussitôt lui ferme les yeux. Dans le désespoir qu’Émilie et Palémon éprouvent, l’une d’avoir perdu son amant, l’autre son ami, Thésée intervient encore ; touché de leur malheur et plein d’estime pour l’un et pour l’autre, il leur laisse un temps raisonnable pour épuiser la violence de leur douleur, en lui donnant un libre cours ; ensuite il représente à Émilie qu’elle retrouverait un autre Arcite dans la personne de Palémon, et finît par le lui faire accepter pour époux. — Ajoutons que, comme tant d’autres prétendues inventions de l’Italie à cette époque, cette œuvre de Boccace, divisée en douze livres, et la première qui ait été composée en rimes octaves, était tirée d’un vieux roman français que Chaucer traduisit en vers anglais (1400).