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ÉPREUVES MATERNELLES

à se défendre. Vous pouvez d’ailleurs vous informer près de la personne qui me l’a donné.

— C’est bon… c’est bon… ne vous fâchez pas ! on est si souvent attrapé que l’on ne se méfie jamais assez. Pour le moment, je ne vois pas de place à prendre. Les bourgeois se restreignent, et là, où il y avait deux domestiques, il n’y en a plus qu’une et bien souvent, plus du tout. Non, ma fille, je ne sais où vous envoyer… Peut-être au 15 de la rue ? J’ai entendu la bonne dire qu’elle allait filer parce qu’on lui demandait trop et qu’on ne la laissait pas aller au dancing le samedi soir. Vous, il me semble que vous ne devez pas beaucoup danser ?

Denise ressentait des sentiments divers en écoutant l’épicière.

D’abord, l’appellation de « ma fille » lui coûtait toujours beaucoup à entendre. Puis, être traitée avec cette familiarité désinvolte la choquait profondément. Mais que pouvait-elle… Il n’y avait pas de rébellion possible.

Elle posa quelques questions :

— Quel est le genre des personnes habitant le 15 de la rue ?

— Ce sont d’anciens bouchers, retirés après fortune faite. Le monsieur n’est pas gênant, il est toujours sorti, mais la femme crie sans arrêt à cause des trois enfants, deux garçons turbulents qui ne songent qu’à faire des niches à la bonne, et une petite fille maladive. C’est surtout elle qui donne du tracas. Il faut lui faire des petits plats et elle n’est jamais contente. On ne peut rien dire, naturellement puisqu’elle est malade. Aux garçons, on peut encore leur lancer une giffle par-ci, par-là.

À ce moment, une gaillarde délurée, entra :

— Bonjour tout le monde !

— Ah ! voici justement mam’zelle Constance ! la bonne du 15. Alors ! vous les quittez vos patrons ?

— Pour sûr ! forcément d’ailleurs ; ils s’en vont dans le midi, par rapport à la petite, et puis, ils iront à Berck. Alors, moi, je n’aime pas voyager et je les lâche.

— Vous voilà renseignée, dit l’épicière en se tournant vers Denise. À vous de savoir si vous voulez voir du pays.