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l’ombre s’efface

— Oh ! vous étiez là, et j’étais sortie ! Que je regrette d’être restée si longtemps !

— Ce n’est pas une déception qu’on ne peut surmonter ! riposta Jacques en riant. Il n’y a que dix minutes à peine que je suis rentré. Et où êtes-vous allée, si ce n’est pas indiscret de vous le demander ?

— Jamais ! Je viens de chez Mme de Sesse qui m’est de plus en plus accueillante. Elle me fait peine, avec cette douleur qu’elle ne peut oublier. Parfois, elle me parle de sa fille comme si elle était vivante, et je vous assure que c’est fort impressionnant. On ne peut que compatir à une telle détresse.

— Vous êtes une bonne enfant, murmura Jacques en m’embrassant.

À ce moment, je me demandai pourquoi je me tra­cassais autant pour ma naissance et pour Hervé. Il me semblait que je n’avais qu’à me laisser vivre, entourée que j’étais par de si ferventes tendresses.

Mais, dès le lendemain, je me repris à penser au jeune de Gritte avec angoisse.

Pendant quelques instants, je projetai de m’ouvrir de mes craintes à mon mari. Cependant cette idée n’eut pas de suite, quand j’eus réfléchi à la joie qu’il montrait de se voir de nouveau rapproché de ce foyer.

Son aspect était changé. Il n’avait plus sur le front cette ombre soucieuse qui venait parfois subitement et qui me peinait tant.

Mme Saint-Bart, que je vis à quelques jours de là, me dit que son frère était transformé depuis que son jeune ami Jacques le gâtait de nouveau par ses visites. Il reprenait un goût plus vif à ses travaux et ses jours s’en trouvaient embellis.

Comment aurais-je eu le courage de troubler cette joie reconquise en jetant mon cri d’alarme ?

J’avais montré du courage physique dans mon métier et je me devais à moi-même de hausser mon énergie morale.

Je gardai donc pour moi le secret de cette menace. De nouveau, je rencontrai Hervé chez son père, où nous nous rendîmes un soir pour dîner.

M. de Gritte me serra les mains avec de grandes démonstrations de sympathie.

— Venez apporter le soleil entre nos murs, ma