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l’ombre s’efface

chère enfant. L’hiver se rapproche, opposez-lui votre printemps.

Puis, délaissant les compliments, il ajouta :

— Ce soir, vous serez seule avec trois hommes. Ma sœur n’a pu venir. Naturellement, elle le regrette beaucoup, mais elle et son mari doivent assister à un dîner promis.

J’étais fort ennuyée, car je savais que je serais forcément la partenaire d’Hervé, ne m’occupant pas plus de vieilleries que lui. Je ne sus que répondre, et je n’eus que mon sourire de danseuse à offrir.

Si je m’étais écoutée, je serais repartie ; mais, dans la vie, il faut souvent afficher une certaine passivité devant des faits qui nous accablent.

Hervé n’était pas encore là et je l’attendais, non sans anxiété. Nous étions dans le petit salon où brûlait déjà un clair feu de bois.

M. de Gritte causait avec Jacques d’une communi­cation concernant une poterie découverte récemment. Je ne les entendais guère, me laissant bercer par le murmure de leurs voix. La flamme que je regardais se tordre comme un serpent me plongeait dans une demi-somnolence… Je me réveillai presque en sursaut quand la porte s’ouvrit et que la personne d’Hervé s’y encadra.

— Bonjour, madame ; vous rêviez ?

Je lui tendis la main sans lui répondre. Il me la serra à peine, et rien que cet accueil un peu mou me rassura. Il se dirigea vers Jacques et conversa avec lui durant quelques secondes, puis il revint vers moi. Il n’eut pas le loisir de m’adresser la parole, car le dîner fut annoncé.

J’étais toute réconfortée. Tout me sembla plus hospitalier, la table fleurie, les vieux meubles, le service silencieux.

Hervé s’occupait de moi sans excès. Il adressait la parole à Jacques d’un ton amical et la joie me pénétrait. J’avais du plaisir à le regarder ce soir-là, parce qu’il était plus beau que jamais.

Cependant je n’osais pas attacher mes regards trop longtemps sur lui, jugeant que ce serait l’attirer. Je le contemplais seulement à la dérobée et j’admirais son front haut et pur, ses yeux au regard profond et sa bouche à la courbe tendre.