Page:Fiel - Le fils du banquier, 1931.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

templait la bague superbe qu’elle portait pour se convaincre de la réalité.

Mme Laslay avait beaucoup de peine à se persuader que le bonheur arrivait dans sa maison. Les grandes catastrophes lui avaient été épargnées durant sa vie, mais elle avait vécu les années si pénibles de ceux dont les ressources sont médiocres. C’était pour augmenter ses revenus que M. Laslay avait accepté cette chaire à l’étranger où ses appointements se triplaient.

Les enfants étaient venus, enlevant chaque fois un peu plus de bien-être, mais apportant plus de mouvement et de gaieté.

La mère ne voulait plus se souvenir des veillées passées à entretenir les vêtements, des jours angoissés au chevet d’un petit malade, à l’économie qu’il fallait toujours maintenir pour ne pas être privé du nécessaire le plus strict.

Maintenant, ce temps disparaissait dans l’ombre. Trois de ses enfants gagnaient et l’existence lui devenait plus facile. Cependant, pénétrée par cette habitude de se restreindre si fortement ancrée, elle voyait non sans stupeur la facilité avec laquelle Gérard dépensait.

Ses fantaisies coûteuses prenaient corps sans hésitation, et Mme Laslay admirait ces choses.

Elle éprouvait parfois une inquiétude sourde qu’elle ne trahissait pas. Elle aurait voulu arrêter Gérard dans ses prodigalités, mais pourquoi jeter une obscurité sur le rayonnement du foyer ? Pourquoi prêcher la pondération à un jeune homme dont la satisfaction consistait à essayer de leur plaire ?

La mère de famille soupirait. Tout cet argent qui se transformait en bibelots de prix, en promenades merveilleuses, en spectacles inespérés, en dîners dispendieux, en fantaisies élégantes, elle aurait voulu le retenir dans ses mains. Il était un bien dont on abusait et qui aurait pu servir à des fins plus raisonnables.

Elle avait tant souffert, naguère, de n’avoir pu donner à ses enfants que l’indispensable, que son cœur se serrait aujourd’hui de constater ce superflu. Elle appréhendait que cela ne durât pas, et elle priait Dieu de leur épargner cette épreuve. Elle sortait rassérénée de ses prières et se disait que la fortune des Manaut était solide.

Tout le mal venait, pensait-elle, du manque d’accoutumance qu’elle possédait de voir l’argent si léger dans la main de celui qui le dépensait.

Mme Laslay était la seule dans la maison qui pensait ainsi. Les autres jouissaient sans arrière-pensée des jours nouveaux qui survenaient. Denise, particulièrement, avait pris son parti du merveilleux qui la comblait et elle s’enthousiasmait pour le rôle qu’elle allait tenir. Plus rien d’obscur ne ternissait le chemin qui s’élargissait devant elle.