Page:Fiel - Le fils du banquier, 1931.djvu/19

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Son arrivée fut accueillie avec gaieté. Gérard se sentait comme un somnambule. Il entendait les voix comme à travers un voile et il lui semblait que les gestes eux-mêmes étaient ceux d’automates. Il ne percevait plus la réalité. Un seul mot sonore résonnait à ses oreilles : ruiné… ruiné…

Il accumulait les efforts pour rester au diapason de ses amis et il en déplorait l’inutilité. Pourquoi se forcer ainsi, puisque, tout à l’heure, la famille saurait ses souffrances ?

Mme Laslay le contemplait de ses yeux maternels. Son intuition pressentait qu’un événement changeait le cours des faits établis.

Cependant, elle ne prévoyait pas lequel. Sa fille ne se doutait de rien. Elle eut une angoisse et son regard alla heurter celui de Pauline. La jeune fille, silencieuse, échangea avec sa mère un signe imperceptible pour calmer sa détresse. Sans un mot, elles s’étaient comprises, sans savoir ce que le destin tramait.

Gérard parut plus naturel soudain et il essaya de s’intéresser à chacun.

Quand ce fut l’heure de se séparer, il pria M. Laslay de bien vouloir l’accompagner. Il dit adieu à tous avec un sourire, mais son cœur était serré comme par un étau impitoyable.

Gérard sortit, suivi par M. Laslay.

Quand la porte fut fermée derrière lui, le séparant de ceux qu’il aimait d’une tendresse de frère, de fils et de fiancé, il eut regret d’avoir prié le professeur de l’accompagner. Il eût voulu être seul en présence de sa peine.

Cependant, il se raidit. Il appela à son secours les leçons du P. Archime : il fallait être fort devant l’adversité et accepter les décrets de Dieu.

Il savait que rien n’est envoyé aux hommes que ce qu’ils peuvent supporter, et que le malheur, aussi grand qu’il pût être, cache toujours près de lui la compensation. La réflexion et le recul la dévoilent. Dieu lui envoyait l’épreuve. La méritait-il pour une faute qu’il ne soupçonnait pas… Ou bien lui était-elle envoyée pour le fortifier ?

Venait-elle uniquement pour lui montrer que la loi des revanches venait s’imposer et que ses vingt-six années de luxe, de joies, de douceur et de santé avaient suffi ? Maintenant sonnait l’heure du travail, de l’initiative, de la lutte que tout homme doit subir. Le destin, clément dans sa rigueur, le prévenait au seuil du bonheur, avant qu’il eût charge d’âme et de foyer.

Gérard fut arraché à ses pensées par la voix du professeur.

— Qu’avez-vous à me dire, mon cher enfant ?

Le jeune homme se recueillit. Dans quelques minutes, l’irréparable serait accompli ; dans quelques instants, cette belle nuit d’été aurait enseveli les rêves de Denise, attristé une famille et