Page:Fiel - Le fils du banquier, 1931.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE VII

Bodrot était de plus en plus intéressé par son ouvrier. Jamais il n’avait eu dans son atelier un jeune homme semblable. Gérard alliait l’adresse à l’ardeur du travail, ne reculant jamais devant une besogne quelle qu’elle fût.

Puis, c’était un plaisir de causer avec lui. Il était toujours déférent et ses expressions étaient choisies et justes.

Le patron Bodrot se disait que, certainement, son ouvrier était de bonne famille, mais il était loin de se douter qu’il s’était classé parmi les jeunes gens les plus enviés de Paris.

Il pensait seulement que le monde, les relations et le travail seraient plus agréables si les conditions existaient partout comme elles l’étaient actuellement chez lui.

C’était un patron doux, cherchant la justice et essayant de la conserver parmi ceux qu’il employait. Doué de délicatesse, il évitait de faire une observation en public, voulant sauvegarder l’amour-propre de chacun. Il détestait également les mots exagérés et grossiers et assurait que l’on peut tout aussi bien se faire comprendre en phrases correctes.

Les ouvriers, connaissant les idées de leur patron s’y conformaient de leur mieux.

Si Bodrot était ainsi, c’est qu’il avait des filles. L’aînée, sous des dehors un peu cavaliers, était une nature dévouée et pleine de cœur. Elle possédait un bon sens rare que son père appréciait. Sans timidité, elle savait fort bien se conduire. Douée de perspicacité, elle voyait assez rapidement à qui elle avait affaire.

Elle soignait avec une tendresse de mère ses deux jeunes sœurs, car Bodrot était veuf depuis une huitaine d’années.

Elle avait quatorze ans à l’époque de ce grand malheur, et, sans transition, s’était improvisée mère de famille et femme d’intérieur.

Les deux jumelles avaient aujourd’hui quinze ans et obéissaient à leur grande sœur sans velléités de résistance.

Aussi bien, Mathilde savait conduire son monde. Enjouée, elle commandait avec sérénité, mais ne souffrait guère d’opposition. Mais, comme elle se montrait juste, on ne pensait guère à s’insurger.

Bodrot ne connaissait rien de plus beau au monde ni de plus digne de parvenir à une haute sphère que cette fille chérie qui s’était montrée si courageuse et si entendue dans son terrible malheur.