Page:Fiel - Le fils du banquier, 1931.djvu/64

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Un peu interloquée, elle restait plus silencieuse que d’ordinaire. Son père, surpris, s’imaginait que son projet lui plaisait et que l’émotion empêchait la jeune fille de se montrer naturelle.

Il en devint plus loquace, et ses phrases tendirent à conduire le jeune homme vers la voie de ses desseins. Quand Gérard comprit le but de cette réunion, il fut atterré.

Ce n’est pas qu’il ne reconnût pas beaucoup de qualités au patron Bodrot, mais il songeait qu’il n’était nullement libre. Denise, là-bas, en Amérique, n’était-elle pas lésée ? Le souvenir de la jeune fille le hantait trop pour qu’il pût penser au mariage.

S’il la laissait libre de se fiancer, dans le cas où un prétendant se présenterait à elle, il se refusait le droit d’agir de même, bien que les « paroles > réciproques eussent été nettement rendues.

Il estimait donc de son devoir de ne pas laisser croire qu’il était indépendant.

Naturellement, il avait instruit M.  Laslay de son arrivée en France, de l’accident survenu à son père et de leur ruine totale. Il avait décrit le petit logement pitoyable et la nécessité où il se trouvait de prendre un travail rémunérateur sans tarder. Il n’avait pas dit quelle branche de métier il avait choisie, car, au moment de l’envoi de sa lettre, son sort n’était pas encore fixé.

M.  Laslay avait laissé cette lettre sans réponse jusqu’alors, ce dont Gérard ne s’étonnait point. Qu’aurait-il pu dire d’ailleurs ?

D’autre part, il se l’avouait, un reste de fierté l’éloignait du projet de Bodrot. Malgré la dignité qu’il décernait à son patron, il ne l’eût pas choisi pour beau-père. Il voulait rester dans un monde plus conforme au sien et parler la même langue.

Aussi bien, et aussi digne d’être épousée que fût Mlle  Bodrot, il savait qu’elle ignorerait certains détails d’éducation qui le feraient souffrir.

Et le pauvre Gérard, qui se sentait encore le fils distingué du banquier Manaut, ne pouvait songer sans un serrement de cœur à devenir le mari de la fille du serrurier enrichi.

Il s’en voulait de ces révoltes, étant scrupuleux. Il se demandait s’il devait rester chez Bodrot et profiter des bonnes dispositions du patron. Ce rôle lui répugnait. Il eût aimé que la situation fût nette.

Il lui fallait réfléchir à ces choses. Il éloigna donc momentanément ces pensées pour se montrer aimable envers Bodrot et sa fille.

Il apprécia toute la grâce honnête et un peu fruste de