Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
marane la passionnée

tournais du rouge au blanc comme un feu alternatif, je risquai :

— Est-ce un gros péché d’aimer un homme marié ?

Maman tenait un tricot. Elle le laissa tomber sur ses genoux avec un cri d’horreur.

— Tu me poses une question à laquelle une jeune fille bien née ne devrait pas penser !

— Pourquoi donc ?

— N’insiste pas.

— Il n’y a aucun mal à une question semblable, je ne vois pas pourquoi je ne m’instruirais pas. Une mère doit conseiller sa fille.

Maman sembla radoucie par mon explication et elle me répondit sans impatience :

— Tu es assez intelligente pour comprendre sans beaucoup de phrases, qu’un homme marié n’existe plus pour une jeune fille. Il ne viendrait nullement à l’esprit d’une jeune fille pure, bien élevée, loyale, de s’occuper d’un homme marié, et encore moins de l’aimer.

— Comme c’est bizarre, murmurai-je !

— Que veux-tu dire ?

Je ne répondis pas tout de suite. Je constatai que la réalité n’était nullement semblable aux romans. Puis, j’étais offusquée que ma mère parlât de jeune fille bien élevée et loyale, ne devant pas prêter attention à un homme marié.

Ces paroles me semblaient dénuées de sens. Je convins de lutter et je prononçai :

— J’estime que ces conventions sont absurdes.

— Comment cela ? questionna maman, interdite.

— Parce que je sais que l’amour est une flamme qui souffle où elle veut.

— Ciel ! où as-tu pris ces théories ?

— Dans mon jugement.

— Mais quel est donc l’esprit diabolique qui t’inspire ? cria ma mère exaspérée.

— Le diable n’est pour rien dans mes sentiments, et je répète que l’amour est une force qui nous pousse à aimer un être d’une façon inopinée, et quand on le rencontre, on n’a pas le temps de se demander s’il est marié ou non.