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marane la passionnée

— Justement, ils vont au plus simple.

Ma mère accumulait les arguments et je lui opposais une défense serrée.

Puis, lasse de discuter, je bondis vers la porte et je disparus en criant :

— Je sors !

Maman voulut me retenir, mais j’étais déjà loin. Ah ! la contrainte ne me réduisait pas. Il me fallait la liberté. Jamais l’air ne me parut plus pur que ce jour-là.

Un rayon de soleil blond filtrait à travers les branches reverdies. La mer mugissait doucement dans le lointain, mais je l’entendais, moi, mugir tendrement.

Tout devenait beauté, bonté, tendresse.

Cependant, je me retins pour ne pas aller aux Crares. Je me dirigeai vers la mer, je tournai le dos à mon but aimé, et je me forçai à ne pas penser à M. Descré.

Je voulais essayer si son pouvoir occulte agirait sur moi quand même, malgré la distance que j’agrandissais entre lui et moi.

Je m’assis entre mes chiens, sur un rocher que la mer battait. Je voulus concentrer mon imagination sur le spectacle des flots, mais je vis bientôt, hélas ! que mes efforts demeuraient vains. Chaque plainte de la mer, chacun de ses cris, chacun de ses chants, devenait pour moi des paroles d’amour que prononçait M. Descré à mon oreille.

À vrai dire, j’étais stupéfaite par l’intensité de ce sentiment. Je compris que l’amour était une emprise terrible. Je faillis me plaindre d’aimer. J’aurais voulu détacher de moi cette puissance qui m’enveloppait.

Je fus désespérée. Je pensai que Dieu avait créé l’amour pour punir les hommes. J’eus des frissons d’épouvante. J’étais punie, moi aussi, parce que… Oh ! l’horrible vision qui revenait en ma mémoire.

J’aimais un homme qui ne serait jamais à moi. Il avait fallu qu’il vînt dans ce pays, poussé par quelque destin obscur, afin qu’il fût le tourment de ma vie.

Je repris le chemin de la maison. J’avais sans doute une figure bien étrange, parce que ma mère s’exclama quand elle m’aperçut :