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marane la passionnée

Elle se développa soudain comme une flamme. Tout autour de moi me blessa : l’air, la terre, la mer, au loin. Je ne voyais plus que cette femme, sa femme qui s’appuyait à son épaule en un geste nonchalant et lassé. C’était un geste qui participait de l’humilité et de l’orgueil, de la soumission et de la possession, de l’esclave et de la protectrice.

J’aurais, à ce moment-là, donné des années de ma vie pour pouvoir serrer son bras, à lui, contre mon cœur, à moi !

Je perdais mon équilibre moral. Un nuage passait devant mes yeux. Je ne me reconnaissais plus. De fillette que j’étais encore par instants, je devins une femme féroce, voulant à tout prix garder son bien… un bien qui ne m’appartenait pas, mais que je m’étais adjugé par une fantaisie imprévue de mon cœur.

Où était mon repos ? Depuis le soir tragique de juillet, je l’avais perdu. J’espérais que l’amour me sauverait d’une obsession qui avait pour sujet la vie d’un homme.

Mes chiens, subitement, coururent au galop, je ne sais sur quelle piste. Leurs aboiements surprirent les promeneurs. La femme lâcha le bras de son compagnon et se retourna. Ils me virent.

Je m’arrêtai. Ils m’examinèrent. Avec étonnement, mes yeux se fixaient sur Mme Descré. Elle m’apparut plus âgée que je ne l’aurais supposé. Je la regardai avec avidité. Son visage fané, ses yeux ternis, ses cheveux grisonnants me causèrent une sorte de confusion.

J’étais gênée que ce monsieur eût si mal choisi son épouse. Près d’elle, il était un jeune homme. Ah ! que je le trouvais bien ! Il était mieux encore que je ne l’avais jugé.

Sans penser que je pouvais paraître indiscrète, je continuai d’avancer à petits pas, comme une personne déterminée.

Qu’allais-je dire ? Je voulais absolument leur parler. J’avais vu la dame tressaillir au moment où les chiens avaient surgi près d’elle, et je trouvais que des excuses étaient nécessaires.

Je me hâtai :

— Madame, je vous demande pardon pour les chiens… Ils vous ont effrayée…