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marane la passionnée

Sa mère n’eut pas un mot pour le retenir. Il nous salua gravement et il partit avec rapidité.

— Il veut être seul, murmura Mme Descré.

Elle le regarda s’éloigner.

Je restai pétrifiée. J’aurais voulu le suivre, et la présence de sa mère m’irritait.

— Qu’a donc monsieur votre fils ?

J’en voulais à cette mère de laisser ainsi s’enfuir loin de mes yeux celui qui me devenait si cher, et j’eus toutes les peines du monde à ne pas le faire voir.

Mme Descré ne me répondit pas tout de suite, puis elle prononça :

— Il pense à sa femme.

Je tressaillis violemment. Une sueur froide m’inonda. Comment, il était marié !

Des sentiments tellement tumultueux s’agitaient dans mon cœur que je faillis tomber à la mer, en roulant le long des roches. Je titubais. Il me semblait que ma tête allait éclater.

J’eus beaucoup de mal à ne pas montrer mon désarroi.

Il fallait que cette mère fût bien préoccupée par son fils pour ne pas s’apercevoir du désordre moral où me plongeait cette révélation.

Je passai ma déception sur mes chiens. Prétextant un écart de Rasco, je le cravachai.

Mme Descré s’arrêta et s’exclama :

— Oh ! Mademoiselle !

Je criai :

— Ah ! il pense à sa femme ! à sa femme !

— Hélas ! murmura ma compagne, sans s’arrêter à l’étrangeté de ma phrase.

— Je ne le croyais pas marié. Il n’a pas d’alliance !

— Sa femme est morte, me répondit cette mère que je considérai alors comme un ange.

Une joie me transporta. Je saisis Rasco dans mes bras et je lui dis :

— Pardon, Rasco ; tu es un bon chien, et je ne te battrai plus jamais.

Mme Descré crut que je devenais folle, car elle hâta le pas tout en murmurant :

Mme de Caye a une singulière dame de compagnie.