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marane la passionnée

parlât de moi de cette façon et que l’on arrangeât ce qui me concernait sans me consulter.

Chanteux s’en alla. Je sortis aussi pour calmer mes nerfs surexcités. Je restai une demi-heure dehors, décidée à cacher mon indiscrétion, mais résolue cependant à refuser de partir.

Quand je revins près de maman, elle tressaillit. Elle était plongée dans une rêverie que j’interrompis. Elle me dit gravement :

— Veux-tu m’écouter un peu, ma petite fille ?

— Je suis tout oreilles.

— Tu deviens grande.

— Oui, seize ans.

— Laisse-moi parler. Je serais heureuse que tu connusses d’autres jeunes filles, que tu fusses en contact avec des personnes de notre monde.

— Cela ne me déplairait pas, affirmai-je d’un ton innocent.

— Or, j’avais d’abord pensé que tu pourrais passer quelques mois dans une pension de grandes jeunes filles, où tu trouverais des compagnes de ton âge.

— C’est de toi, cette idée-là ?

Maman prit l’air scandalisé :

— Comment ! Ne suis-je pas assez sensée pour former un projet ?

— Ne te fâche pas, maman. Mais ordinairement, tu n’oses pas échafauder un plan à cause de la pénurie d’argent que notre régisseur nous souligne sans arrêt. Cette pension doit être coûteuse, et rien que ce motif me ferait refuser. Il en est un autre plus sérieux : je ne veux pas quitter le manoir.

— Tu le quitteras un jour ou l’autre pour te marier.

— Ce temps-là est bien loin ! Et le merle blanc qui voudra de moi me prendra comme je suis. S’il aime les belles manières, il cherchera quelqu’un d’autre. S’il aime une femme pot-au-feu, avec une tapisserie dans les mains, il ira dans un château voisin.

— Marane, tu me peines.

— Parce que je ne veux pas te quitter ? Et tu me parles de cela le soir où rentre Évariste ?

— Tu ne m’as pas laissé achever ma pensée. J’ai mûri ce projet, mais, au lieu de t’envoyer dans une pension, j’ai pensé