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marane la passionnée

cousine éloignée de sa mère, afin de vivre un peu de l’existence des villes. Cette dame avait des filles. Or, le rêve de Marane de Caye était d’avoir une amie. Elle avait presque toujours vécu seule, son frère étant parti pour finir ses études. Quand elle arriva chez sa cousine, elle fut tout de suite conquise par le charme de la seconde, qui s’appelait Jeanne.

— Jeanne ? répéta M. Descré.

— Oui, son amie se nommait Jeanne et Marane était heureuse. Avec son cœur passionné, elle ne pouvait qu’éprouver une amitié dévouée, désintéressée, pour cette jeune fille qui la séduisait par une douceur, par une bonté, une apparence de tendresse qu’elle ne faisait que simuler.

M. Descré eut un mouvement. Il allait parler, mais il se retint. Je poursuivis :

— Il advint que Marane ayant la pudeur de ses sentiments de première amitié, elle n’osait les proférer tout haut à son amie, timide soudain devant elle. Un soir, dans sa ferveur, elle eut l’idée de les lui écrire.

— Oh ! s’exclama M. Descré d’une voix étouffée. Je le regardai. À quelle pensée s’adressait cet « Oh ! » qui paraissait signifier : « La pauvre enfant ! Elle a cru être comprise et être payée de retour ! ». Je le pris ainsi et je continuai :

— Vous devinez, n’est-ce pas, Monsieur, que cette lettre devint le jouet de Jeanne et qu’elle s’en moqua en compagnie de ses sœurs. L’une d’elles prévint Marane. Celle-ci, avec sa candeur, sa tendresse méconnue, sa fierté blessée à juste titre, ne put tolérer une semblable lâcheté et traîtrise de celle qu’elle avait placée si haut. Elle s’en alla. L’affreux Chanteux transforma ce départ en une fuite de couvent.

— Je comprends tout ! murmura M. Descré.

— La nature enthousiaste, généreuse de Marane, la rendit bien malheureuse à la suite de cette aventure.

— Ah ! que j’eusse aimé que ma femme fût ainsi ! s’écria M. Descré, sous une impulsion irrésistible.

Je sentis dans mon cœur une rosée bienfaisante. Comme ces mots avaient été bien dits ! Je penchai la tête pour