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marane la passionnée

savourer ma joie, car je craignais que l’éclat de mes yeux ne surprît, bien qu’il fût atténué par les verres de mes bésicles.

Je repris avec une apparente tranquillité :

— Elle était trop droite pour que cette trahison ne s’imprimât pas dans son âme. Si elle eût vécu dans le monde, elle eût été accoutumée à ces façons superficielles et déloyales, mais elle n’avait eu jusqu’alors que le spectacle de la nature.

— Pauvre petite !

Ah ! que M. Descré me plaignait bien ! Déjà fléchissait en moi la résolution de dédaigner ses avances. Ainsi le cœur se joue de la volonté.

— Je n’ai pas besoin de vous dire dans quel état d’esprit Marane revint chez sa mère. Elle avait cru atteindre l’amitié merveilleuse et la moquerie lui avait répondu. Elle découvrit alors une âme fruste, en la personne d’un fils de fermier. Il avait quinze ans et il était simple et bon. Elle voulut, en toute innocence, en faire son ami.

— Mon Dieu ! soupira M. Descré.

— Mais les sentiments purs sont mal interprétés par certaines natures. Ce jeune berger n’avait rien de mauvais en soi, mais sa mère était une ambitieuse, qui, poussée par le misérable Chanteux, conseillait mal son fils. Un jour, ce dernier, après une cruelle hésitation, se permit, sous prétexte d’amitié, de vouloir embrasser Marane. La jeune fille, indignée, lui lança une gifle à toute volée !

Jamais encore, je n’avais entendu rire M. Descré. Mais il fut pris d’une hilarité si joyeuse, si éclatante, que je ne pus m’empêcher de l’imiter.

— Ah ! que c’est bien ! put-il enfin articuler.

— Vous trouvez ?

— Oh oui ! cette Marane est délicieuse.

Je savourai mon bonheur, et je poursuivis :

— Elle comprit que le rêve de l’amitié était difficile à réaliser. Mais ce qui lui vint aussi à l’esprit, c’est que cette scène avait peut-être été organisée.

« Elle se méfiait de Chanteux, elle pensa qu’il cherchait à la compromettre afin de ne plus lui laisser que la perspective d’épouser le berger, tandis que lui…