Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
marane la passionnée

— Alors, moi, maman, je partirai dans trois jours.

Ma mère parut surprise, puis émue par ma décision.

Quand Évariste entendit que j’étais décidée à ce séjour, il dit :

— Puisque Marane reste encore trois jours, je vais envoyer un télégramme à mon ami, afin qu’il ne m’attende pas aujourd’hui. De cette façon, nous aurons encore ces deux jours pour nous promener.

Je fus enthousiasmée par cette détermination et je battis des mains.

Durant l’après-midi, une tempête s’éleva.

Le vent, entre ses sifflements de sirène, ne cessait pas ses lamentations, ses colères, ses plaintes profondes ou aiguës.

Mon frère ne voulait pas sortir, mais j’insistai.

— C’est tellement beau ! Je connais un endroit où l’on est à l’abri, et d’où l’on voit des tableaux merveilleux. Les rochers ont l’air vivant et quand les vagues butent dessus, on dirait une bataille. Viens voir cela !

— Tu es donc cruelle ?

— Non… mais j’aime contempler les éléments aux prises.

— Tu ne penses pas aux barques qui peuvent être brisées par la tempête ?

— Oh ! si, j’y pense !

Je me souvenais d’une femme qui croyait son mari disparu. J’étais allée la voir en lui portant mes petites économies. Puis, j’avais guetté, pendant des jours, le bateau du père Garech. Je m’étais fatiguée les yeux à scruter l’horizon gris, ou rougi par la pourpre du couchant. Un soir, j’avais reconnu la voile attendue. Elle apparaissait lumineuse au milieu des rayons qui s’éteignaient. Je dégringolai de mon rocher et je courus à perdre haleine jusque chez M. le curé pour lui porter la bonne nouvelle en le suppliant d’aller tout de suite chez la femme du pêcheur qui demeurait un peu loin pour moi. Je n’avais pas attendu un merci, car nul merci ne pouvait égaler pour mon âme la douceur de causer cette surprise.

Je n’avais rien dit de ce drame à ma mère.

Cet après-midi-là, je voulus montrer ce spectacle de tempête à mon frère. J’obtins, non sans peine, qu’il me suivît, et,