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marane la passionnée

pareil. Sans cette perspective, je n’aurais jamais consenti à abandonner ma lande.

Les yeux de ma cousine s’ouvraient démesurément. Elle voulut dire quelque chose, mais elle se tut. Je crus un moment qu’elle dissimulait une envie de rire, mais je n’en fus pas sûre.

Elle me sourit et demanda :

— Vous croyez trouver en Jeanne l’amie de vos rêves ?

— Je le pense, elle paraît bonne et ses manières si douces sont reposantes.

Mme de Jilique ne parut nullement surprise de ce que j’avais découvert là.

— Vous êtes une enfant bien extraordinaire.

— Je ne suis plus une enfant et je ne trouve rien d’étrange à vouloir une amie. Cela me changera de la compagnie de mes chiens, qui ne comprennent pas tout, et de la nature qui ne me répond jamais.

— Ne voyiez-vous donc aucune famille du voisinage ?

— Aucune… Depuis la mort de papa, nous avons eu une existence renfermée entre nos murs. Maman n’aimait plus sortir et elle s’est contentée de veiller à notre instruction.

— L’ennui ne vous a jamais effleurée ?

— Jamais ! La campagne est une source de joie, de surprises, de renouveau constant.

— Vous possédez une âme forte.

— Oui… approuvai-je fort simplement.

Mme de Jilique eut un rire léger :

— Vous ne voulez pas en convenir, mais vous êtes une jeune fille nullement semblable aux autres.

— Évidemment, répliquai-je, je n’ai pas la beauté de vos filles.

— Hum ! hum ! toussota ma cousine.

Je ne sus pas ce que signifiait cette toux et je poursuivis :

— C’est une énigme pour moi de voir leurs joues si roses, leurs sourcils si fins et leurs lèvres si vermeilles. C’est même curieux de les voir si semblables.

Mme de Jilique, cette fois, n’y put tenir. Elle éclata d’un rire si épanoui, si communicatif que je l’imitai, sans savoir pourquoi.