Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
55
marane la passionnée

Je crois que ma cousine rêvait, elle aussi, parce qu’elle ne me répondit pas tout de suite. Puis, lentement, elle murmura :

— Il faudrait posséder un cœur simple et rencontrer aussi un cœur simple. La civilisation engendre l’âme compliquée. Mais pourquoi est-ce que je vous écoute, petite fille de seize ans ? Est-ce le chant qui sort de votre âme fraîche qui m’entraîne, ou bien est-ce parce que vous m’arrachez à la banalité ?

— Je n’en sais rien du tout, cousine.

Mme de Jilique eut un léger rire.

Nous parvînmes au rocher que j’avais choisi comme but. Je croisai les mains sur ma poitrine, je regardai le soleil couchant qui était pourpre dans un ciel de turquoise, je contemplai la mer qui murmurait doucement.

Nous restâmes silencieuses quelques minutes, puis je dis :

— Tout est beauté dans la nature, tout est beauté dans l’art, pourquoi le cœur de mon amie, créée si parfaitement par Dieu, n’est-il pas resté une beauté pour moi ?

— Ah ! Marane ! Marane, s’écria ma cousine, avec une voix changée, vous avez vécu parmi trop de pureté. Que ferez-vous au milieu des humains ?

Je ne pus rien répondre. Ces paroles évoquèrent mon chagrin plus fortement, comme aussi elles firent surgir brusquement le visage de mon frère pris de boisson.

Je frissonnai devant ces laideurs humaines.


V


— Ainsi, Mlle de Caye, la fille du comte de Caye, s’est enfuie, le matin, comme une simple roturière, parce qu’elle ne se plaisait plus dans l’endroit où elle était ?

Le régisseur me persiflait ainsi.

— Alors, le régisseur du comte de Caye se permet d’interpeller Mlle de Caye !

M. Chanteux se mordit les lèvres. Il n’avait jamais le dernier mot avec moi. Je le regardais avec hauteur. Je poursuivis :