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marane la passionnée

— Je ne vous pardonnerai jamais d’avoir laissé mon frère se griser en votre compagnie. Que vouliez-vous donc faire de lui ?

Mes yeux, comme des pointes aiguës, perçaient le regard de Chanteux.

Il devint cramoisi de colère rentrée.

— À quoi pensez-vous, Mademoiselle ? s’écria-t-il d’un ton qu’il essayait de rendre indigné. J’ai eu la tristesse de constater que M. le comte avait une attirance pour l’alcool, et cela m’a peiné pour son défunt père.

Il était devenu larmoyant. Ses yeux s’humectaient de larmes.

— Mais que devais-je donc faire ? poursuivit Chanteux ; j’essayais bien de retenir M. Évariste, mais il reprenait son verre…

— Pourtant, interrompis-je, mon frère prétendait qu’il buvait peu de chose, et que la plupart du temps il ne comprenait pas son brusque étourdissement.

Le régisseur, cette fois, avait pâli. Il resta quelques minutes sans répondre, puis il dit d’un air faussement bonhomme :

— Ce pauvre Monsieur Évariste ne voyait plus bien clair et ne savait plus trop ce qu’il faisait, et, pour se justifier, il disait n’importe quoi.

Je me retins pour ne pas imposer silence à cet homme.

Mon frère était coupable, je ne pouvais le nier. Cependant, j’étais persuadée qu’il était reparti non sans soulagement. Il s’était arraché à un danger.

Ces intuitions, je ne pouvais les révéler au régisseur. Il fallait de la patience, avant de prouver qu’Évariste n’avait pas sombré de nouveau.

Chanteux reprit :

— Alors, Mademoiselle ne retourne plus chez Mme de Jilique ?

— Ma foi non ! Je manquais d’air.

— Si Mademoiselle se marie en ville, comment fera-t-elle ?

— Je ne me marierai pas en ville !

— Heuh ! Heuh ! Ici, les prétendants sont rares et ceux qui connaîtront la fugue de Mademoiselle auront peur.

— Monsieur Chanteux, vous n’avez pas le droit de me critiquer.