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marane la passionnée

Ce jour-là, je ne revins qu’à la nuit. J’étais infatigable. Ma fureur me portait.

Je ne pouvais comprendre pourquoi ma mère m’interdisait une chose aussi simple. Aimer, était-ce donc un crime ? Aimer, n’était-ce pas confier ce que l’on ressent à une autre âme de son choix ? Pourquoi s’insurger contre la condition sociale d’une personne ?

Plus que jamais, j’aurais voulu être le vent, mais un vent en furie, qui aurait parcouru des immensités.

J’avais l’horreur des sentiers où tout le monde a passé, tandis que maman n’en voulait pas d’autres. Mon esprit volait, bondissait par-dessus toutes les défenses.

Je revins au manoir parce que la tempête était trop violente pour mon corps mince. Et cependant, j’aurais voulu rester au milieu de cette pluie qui rafraîchissait mes joues en feu. Mais les jours étaient courts en cette saison.

Je n’aimais ni lire ni coudre. À quoi me servaient les longues veillées durant lesquelles maman tricotait en silence ou lisait sans lever les yeux ?

Je pensais à Jean-Marie et j’aurais voulu aller le retrouver, mais il était trop tard. Je devais attendre au lendemain pour lui raconter cette tristesse.

Dès le matin, j’allai à la ferme et vis sa mère :

— Bonjour, Mam’zelle. Jean-Marie tresse de la paille. Ah ! c’est mon meilleur enfant. Il a de belles idées et il ne serait pas déplacé nulle part. Il y a bien des châtelains qui sont moins bien que lui, acheva-t-elle de sa manière hypocrite.

— Je le sais, répondis-je.

Un éclair de joie brilla dans ses yeux.

J’allai rejoindre Jean-Marie. Je m’assis en face de lui et je pris machinalement de la paille que je tressai tout en lui parlant.

Je le mis au courant de mes misères et de mon grand désespoir concernant Jeanne de Jilique. Je ne lui cachai pas mon inquiétude au sujet de la sensibilité de ma mère, ainsi que la peine causée par Évariste. Puis j’accusai Chanteux de nous vouloir du mal.

Jean-Marie me regardait avec étonnement et il me répondit avec ingénuité :