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marane la passionnée

indulgente. Crois-tu, par hasard, que tu aies mérité du bonheur ? Qu’as-tu fait pour cela ?

— J’ai été trahie. On s’est moqué de mon cœur. On a ri de ma tendresse si fervente, si pure. Jeanne n’a-t-elle pas appelé le châtiment par sa cruelle conduite ?

— Comme tu es exagérée !

— C’est-à-dire que je sens et que je souffre plus que d’autres, voilà tout ! Ma mère elle-même ne peut approfondir mon cœur.

Je jetai cette phrase véhémente avec un sanglot. Maman, bouleversée, me regarda ; elle murmura :

— J’ai beau essayer d’arracher de ton âme la violence, l’ardeur, je n’y parviens pas.

— Comment voudrais-tu donc l’en arracher ? Je n’ai eu qu’un exemple : la mer. Je vis avec ses fureurs, sa douceur, son sourire et ses tempêtes. Je suis calquée sur elle.

Ma mère ne me répondit plus rien.

Quelque temps après, cependant, la mer me lassa. J’eusse désiré que notre pays contînt un ruisseau mince, dont j’aurais suivi les rives.

Il me semblait que rien ne devait être plus beau que ce filet d’eau, encaissé entre deux bords fleuris. La mer me paraissait trop puissante, trop écrasante. Je lui sentais une force près de laquelle les hommes n’étaient que des jouets, tandis qu’un joli ruisseau murmurant et serpentant dans un vallon harmonieux, m’attirait maintenant.

J’éprouvais sans doute le regret de ne pouvoir dominer quelque chose, et la pensée de Jeanne de Jilique possédant un mari, un cœur bien à elle, me donnait ces idées.

En somme, j’étais horriblement jalouse de son mariage. Penser qu’elle m’avait causé tant de peine et qu’elle atteignait au but qui hante toute jeune fille, me plongeait dans un désarroi affreux. Je perdais toute ma joie. J’étais obsédée par l’idée de m’en aller loin, de disperser cette révolte sous d’autres cieux.

C’est pourquoi je fus prise de nostalgie de ne pas voir un ruisseau dans nos parages. Il me semblait que sa course douce serait semblable à une belle jeune fille cheminant avec harmonie.