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marane la passionnée

maman. Ainsi, j’ai fait une promenade, aujourd’hui, me sentant moins fatiguée ; je t’ai appelée, mais tu ne m’as pas répondu. Où te cachais-tu ?

— Je ne me cache jamais, répondis-je avec hauteur ; sans doute étais-je trop loin ?

Il était certain que j’eusse été en peine de raconter ma promenade. Mes pensées avaient été tellement tumultueuses que j’avais erré au hasard des chemins. J’avais contemplé la mer sans la regarder, j’avais gravi des roches sans les voir. Ma tête, bourdonnante des paroles entendues, n’avait pu apprécier ni le temps ni les paysages.

— J’aurais voulu me promener avec toi, reprit maman, mais, encore une fois, tu t’es dérobée.

— Je ne le savais pas, sans quoi je me serais empressée.

Maman me regarda, étonnée par cette prévenance. J’avoue que j’avais grand’pitié d’elle. De son côté, je m’apercevais qu’elle m’en voulait quelque peu, et cependant, dans sa tendresse maternelle, elle me cachait l’entretien qu’elle avait eu.


VIII


Ah ! que je guettais Chanteux ! Que j’aurais voulu qu’il arrivât malheur à cet homme ! Je ne rougis pas de le dire. Ses paroles m’étaient entrées dans l’âme comme un fer brûlant qui ne se refroidissait pas. Les calomnies qu’il répandait sur Évariste et sur moi, l’épouvante dans laquelle il tenait ma mère, me le faisaient considérer comme une de ces pieuvres dont on ne pouvait détacher les tentacules. Un à un, ils vous enserraient. Je sentais leur peau flasque et j’en éprouvais une souffrance physique.

Son regard narquois prenait de plus en plus d’assurance. Quand il me rencontrait, il glissait la flamme aiguë de ses yeux vers moi, et un malaise m’atteignait comme s’il eût voulu m’hypnotiser. Je ressentais alors une cruauté de sauvage, instinctive comme la frénésie d’un galop ou le souffle d’une trombe.