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marane la passionnée

Je restai près de maman tout l’après-midi et j’essayai de la consoler. Mais que pouvaient les mots. Naturellement, le nom de Chanteux revenait comme une triste mélopée et j’étais à bout de qualificatifs injurieux.

Je ne dormis pas, malgré ma jeunesse. Je retournais ces horribles idées dans mon cerveau. Le lendemain, j’avais le corps brisé et je me sentais vieillie.

Mon insouciance habituelle s’était envolée. Je me disais que je devais veiller sur maman, ne plus autant la quitter, afin qu’elle ne fût pas livrée aux sombres réflexions.

Je souffris de cette réclusion, durant quelques jours. L’extérieur me tentait. Il me semblait que j’étais attachée au parquet du manoir par des chaînes d’un poids sans pareil.

Ma récompense était de voir ma mère plus calme. Ma compagnie lui était une protection, et j’évitais de lui parler de Chanteux.

Une huitaine de jours après la scène qui nous avait laissées si bouleversées, le régisseur revint pour parler à ma mère.

Cette fois, je ne me dissimulai dans aucun coin. Je le regardai en face pour lui prouver que je n’avais pas peur.

Il ricana, s’assit sans que ma mère l’en priât et dit :

— Je suis venu pour vous parler affaires.

— Naturellement, dis-je avec hauteur, je ne suppose pas que ce soit pour une visite.

— Je ne m’adresse qu’à votre mère, me répondit-il grossièrement.

Je fus gravement choquée par cette absence de « Madame » précédant l’appellation de mère et je répliquai avec insolence :

— Que cela ne vous empêche pas d’être poli !

— Faites sortir votre fille ! ordonna-t-il à maman.

Je bondis et je criai :

— Nul ne peut me faire quitter cette pièce !

Se levant, il fit le geste de me prendre par le bras. Mais, droite, ma cravache à la main, je le regardai de telle manière qu’il ne termina pas son mouvement.

Maman était terrifiée. Elle était courbée sur son fauteuil, les mains jointes.

Chanteux se rassit en se frottant les mains.