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marane la passionnée

Chanteux me lança un regard terrible. J’y lus une cruauté sans frein.

Maman me supplia :

— Marane, sois calme. Il faut parler sérieusement, je ne pourrai supporter ces éclats sans que ma santé s’en ressente.

Je me tus en crispant mes mains sur ma cravache que je n’avais pas lâchée.

Le régisseur reprit :

— Il faudrait de longues années.M. de Caye a vu trop loin et s’est fait des illusions.

— Cependant, cet immense bois, ces forêts, murmura maman.

Chanteux parut gêné, mais il se remit vite et dit :

— Leur rendement suffira à peine à réparer les autres désastres. Une affaire de ce genre n’est fructueuse que quand tout s’emboîte exactement et que la valeur marchande de l’une correspond à la valeur de l’autre. M. de Caye n’a pas été bon juge et, naturellement, vous en subissez les conséquences. Si vous aviez à votre disposition, en numéraire, le capital que représente à peu près votre domaine, vous pourriez attendre, mais…

— Je verrai mon notaire, interrompit maman, je voudrais surseoir à la catastrophe.

Il y eut un horrible silence.

Je jugeai que Chanteux voulait nous acculer à la mendicité et qu’il profitait de la faiblesse et de l’ignorance de maman. Quelle bonne occasion pour lui de devenir riche propriétaire.

Je savais que nos terres auraient eu de la valeur avec un homme probe, et je venais de comprendre que notre régisseur nous volait d’une manière éhontée.

Il reprit, d’une voix plus sourde :

— Il y aurait une manière de tout arranger.

Les traits de maman s’illuminèrent d’espoir.

— Lequel ? interrogea-t-elle vivement.

— Je vous en ai fait part.

— Ah ! murmura maman en se penchant en arrière.

— Épousez-moi, et vous resterez la châtelaine honorée. Je travaillerai jour et nuit à refaire votre fortune.

Ma cravache cingla l’air, mais elle n’atteignit pas Chanteux.